Suite des primaires démocrates avec l’épisode 2 qui a commencé par une victoire étriquée de Sanders dans le New Hampshire et s’est terminé avec le sentiment que les choses se décantent un peu. Effectivement, Bernie Sanders apparaît comme l’homme à abattre dans cette primaire, maintenant que sa suprématie sur le courant progressiste du parti est confirmée. Les caciques du parti craignent d’être débordés par le candidat le plus à gauche du casting comme Trump l’avait fait en prenant le parti Républicain par la droite en 2016. Du côté de l’aile droite du parti, les têtes d’affiche sont encore nombreuses mais de premières tendances apparaissent : si Biden ne parvient pas à stopper l’hémorragie, ce ne sont pas les candidats plus jeunes qui pourraient émerger (Buttigieg/Klobuchar) mais bien un autre septua richissime, Mike Bloomberg. L’ancien maire Républicain de New York est-il le recours anti-Crazy Bernie ?
Confirmation au New Hampshire : Sanders en position de force
Pas de drame dans le New Hampshire mardi dernier, le vote s’est déroulé sans accroc et le vainqueur était connu dès la fin de la soirée : c’est Bernie Sanders qui l’a emporté avec près de 26% des voix, suivi de très près, à nouveau, par le jeune maire Pete Buttigieg avec 24%. Ils se sont partagés les délégués (9 chacun) et seule une autre candidate est parvenue à récolter les 6 délégués restants : Amy Klobuchar avec 20% des voix, énorme surprise alors qu’elle n’était qu’à 10% dans les sondages. Cette remontée incroyable est due à 2 facteurs : Klobuchar a réalisé un débat de très bonne facture, où elle est parvenue à se poser en alternative centriste plus expérimentée que Buttigieg et moins molle que Sleepy Joe Biden, et Amy avait, comme Buttigieg, concentré tous ses efforts de campagne sur les 2 premiers états de la primaire. Il n’est donc pas étonnant que les 2 outsiders sortent renforcés de cette première séquence. Toutefois, le fait que Sanders les ait devancés à chaque fois en nombre de voix en Iowa et au New Hampshire ne leur permettent pas de booster leur campagne et d’entraîner une vague de soutien plus importante. A ce stade de la compétition, Buttigieg dépasse difficilement les 10% des voix au National, tandis que Klobuchar reste sous la barre des 5%.

Si ces 2 candidats restent de sérieux outsiders, ils partent de très loin. Du fait de ses orientations sexuelles, Buttigieg ne parvient, pour l’instant, pas à convaincre une frange de l’aile conservatrice démocrate (les minorités noires et latino) qui préfèrent Bernie Sanders. Il pourrait fortement en souffrir dans les états du Sud amenés à se prononcer au cours du mois de Mars. Klobuchar représente l’élite bourgeoise blanche éduquée qui vote démocrate mais elle manque de notoriété et de soutien populaire. En outre, elle est condamnée à réaliser un exploit à chaque primaire pour survivre quelques semaines de plus dans cette course.
La faiblesse des 2 poursuivants directs de Sanders et la grande détresse des campagnes de Warren et Biden me laissent penser que Bernie Sanders est bien en position de force aujourd’hui. Au rendez-vous des 2 premiers scrutins, il profite de sa notoriété acquise en 2016 contre Hillary Clinton pour attirer un peu plus d’électeurs sur son nom que tous les autres. Pour autant, on ne peut pas encore parler de moment Bernie : le candidat peine à mobiliser toutes ses troupes de 2016 dans les urnes et aucun de ses concurrents n’est encore formellement éliminé. Il semble être le seul candidat capable de remporter des délégués partout, mais peut-être pas suffisamment pour éviter une convention contestée en juillet.

Bernie Sanders n’a pas encore tué tout suspense et les grands donateurs du parti démocrate réfléchissent à la meilleure stratégie pour lui barrer la route, seule chance selon eux d’éviter un désastre face à Trump en novembre.

Quelles stratégies possibles pour les Tout sauf Bernie ?
Quand on regarde les forces en présence restantes dans cette primaire, nous avons 8 candidats qui peuvent se répartir en 2 camps de 4 :
- 4 candidats à la gauche du parti : Sanders, Warren, Steyer et Gabbard qui représentent environ 41% des intentions de vote
- 4 candidats à la droite du parti : Bloomberg, Biden, Buttigieg et Klobuchar qui se partagent 59% des intentions de vote
Le calcul paraît clair : les modérés sont en position de force face à Sanders s’ils parviennent à s’unir. On se rappelle en 2016 que Trump avait profité des divisions entre candidats républicains pour rapidement prendre les devants. Oui mais voilà, même si les 2 camps du parti donnent parfois l’impression d’être irréconciliables idéologiquement, beaucoup d’électeurs ne s’embarrassent pas pour passer d’un camp à l’autre. En effet, la personnalité des candidats joue beaucoup dans le choix et Sanders se retrouve souvent être le second choix des militants si leur candidat préféré venait à se retirer. Un sondage Yougov a testé des duels de Sanders contre chacun des candidats de l’aile droite et il se trouve qu’il l’emporte de manière assez large à chaque fois : 48% vs 44% face à Biden, 53% vs 38% face à Bloomberg, 54% vs 37% contre Buttigieg et 54% vs 33% contre Klobuchar.

En conséquence, jouer l’unité contre Sanders pourrait permettre à ce dernier de l’emporter avec plus de 1990 délégués lors de la convention et lui offrir la nomination pour la présidentielle sans contestation. Dans les faits, le système de répartition semi-proportionnel des délégués (partage des délégués entre les candidats obtenant plus de 15%) réduit l’écart entre Sanders et ses poursuivants et surtout, l’empêche de s’approcher de la barre des 50% de délégués remportés. Si le parti veut éviter à tout prix la victoire de Sanders, la division pourrait être l’atout des modérés. En effet, Biden, Bloomberg et Buttigieg devraient être en mesure d’obtenir plus de 15% des voix dans de nombreuses primaires et de se maintenir jusqu’au bout du processus si leurs finances le permettent (pas de doute pour Bloomberg). Le scénario d’une convention contestée en juillet avec un Sanders disposant d’une majorité relative de délégués et 2 à 3 challengers modérés se partageant les délégués restants serait alors probable. Au deuxième tour, s’ajouteraient au vote, les 771 superdélégués plutôt anti Sanders qui pourraient s’entendre sur le choix d’un seul nom modéré. Toutefois, pour éviter un scandale démocratique, il faudra que Sanders soit le plus loin possible de la barre des 50% de délégués. On imagine mal les superdélégués éliminer un Bernie avec 45% des délégués. S’il dispose de moins de 35% du total des délégués, les tenants du tout sauf Bernie pourraient l’emporter mais le chemin semble tortueux et de moins en moins probable.
Pourtant, un candidat du camp modéré croit être le seul en capacité à unir tout ce beau monde sur son nom et à battre Sanders à la « régulière » grâce à une arme massive : des milliards de dollars à dépenser sans compter.
OPA de Bloomberg sur la primaire
415 millions de dollars. En seulement, 3 mois de campagne, Michael Bloomberg a presque dépensé autant d’argent que Trump en 2016. Disposant d’une fortune personnelle estimée à plus de 60 milliards de dollars, Bloomberg a embauché une équipe de 1600 personnes pour quadriller les 14 états qui voteront lors du Super Tuesday. Inondant les chaînes de télévision de publicités anti-Trump et anti-Sanders, Bloomberg est parvenu à émerger à la 3ème place des sondages nationaux et à se positionner en challenger crédible de Bernie.
Ancien maire de New York avec l’étiquette républicaine, Mike Bloomberg tente un coup de force en pariant qu’il sera capable de faire venir aux urnes les indépendants et les centristes lors de l’élection primaire puis générale. Cette véritable OPA sur la primaire démocrate est moquée sur les réseaux sociaux. La couverture médiatique est extrêmement complaisante avec lui et il est accusé de faire taire les journalistes à coup de millions.
Il représente les dérives du système politique américain : jusqu’en 2008 et l’émergence d’Obama, les candidats se finançaient principalement avec des aides publiques plafonnées, sur le même principe que ce qui se fait en Europe. Cependant, Obama avait refusé ce financement public et préféré s’appuyer sur des fonds privés pour se financer. Petits et grands donateurs avaient apporté plus d’1 milliard de dollars à Obama ce qui lui avait permis d’écraser les républicains et Hillary Clinton. La victoire surprise de Trump en 2016, bien moins riche que l’appareil démocrate a changé la donne. Désormais, un milliardaire comme Bloomberg ou comme Steyer ne finance plus dans l’ombre des candidats de l’establishment mais se lance directement dans la course pour s’assurer de la rentabilité de l’argent dépensé.
Cette nouvelle donnée est inquiétante pour la démocratie américaine. Peut-on lutter à armes égales face à tant d’argent ? Bloomberg n’est toujours pas officiellement entré de plein pied dans la campagne, il ne s’est pas confronté à ses concurrents et pourtant, on demande déjà aux Buttigieg et autres Klobuchar à quel moment ils se rallieront au milliardaire. Quant à l’establishment démocrate, après avoir soutenu en pré-campagne Biden, il se rallie de plus en plus à Bloomberg et semble prêt à en faire son nouveau champion anti-Trump.

Débat entre les 6 favoris à Vegas : Very Bad Trip pour Mike ?
Première conséquence de cette opération d’envergure, Bloomberg s’est qualifié pour le 9ème débat démocrate prévu ce jeudi à Las Vegas alors qu’il n’est pas inscrit pour la primaire du Nevada. Il affrontera ses 5 adversaires pour la première fois : Sanders, Biden, Warren, Buttigieg et Klobuchar. Ce débat s’annonce risqué pour lui. En effet, Bloomberg a également profité de son démarrage tardif pour ne pas se retrouver dans l’arène à débattre. Il est plus simple de faire passer son message par la publicité sans contradiction que de se retrouver face à des concurrents qui n’auront rien à perdre. Mike n’est ni charismatique, ni un débatteur de talent. Il devra faire face aux attaques dures de ses adversaires qui l’accuseront de fausser le jeu avec ses millions et de ne pas être un vrai progressiste.
Bloomberg a un passé tumultueux de républicain, il aime l’argent et n’a pas beaucoup de considérations pour les minorités noires et les femmes. Il se retrouve dans la position de Biden avant les premiers votes. Peu apprécié sur le terrain, soutenu par les médias et vendeur d’une promesse forte : il est le meilleur candidat pour battre Trump en novembre. Pas sûr que cet argument tienne longtemps la route face à certains de ses adversaires jeudi. Cette apparition surprise en débat à Las Vegas pourrait donc lui coûter cher et casser sa belle dynamique publicitaire.

Concernant les enjeux du débat, Klobuchar et Warren sont condamnés à l’exploit pour survivre jusqu’au Super Tuesday. Warren est particulièrement en difficulté financière et beaucoup tablent sur son abandon dans les prochains jours en cas de nouveau revers. Pour Biden l’enjeu sera de sauver sa place de leader en Caroline du Sud et de finir sur le podium au Nevada sous peine de disparaître très prochainement également. Sanders et Buttigieg devraient tenter de surfer sur leur dynamique respective pour arriver à un bon résultat lors du caucus du Nevada.
Le débat devrait tourner autour de la personne clivante de Bloomberg mais aussi sur le système de santé. En effet, un important syndicat du Nevada a critiqué fortement les propositions du Medicare for all de Sanders et ce sujet qui sera l’un des gros enjeux de l’élection de novembre pourrait voir une belle passe d’arme entre les 2 camps du parti démocrate.
Enfin, un absent de marque au débat, l’autre milliardaire Steyer qui a adopté une stratégie équivalente à Bloomberg en dépensant 200 millions de dollars au Nevada et en Caroline du Sud. Il compte créer la surprise samedi en remportant le Nevada. Il est possible qu’il apparaisse dans le trio de tête, je mets une pièce sur lui pour être a minima la surprise des médias français dimanche matin…
Rendez-vous jeudi sur ma page facebook pour débriefer le débat et très prochainement sur le blog pour vous présenter les 3 clés du succès d’une campagne américaine : Money, Message & Momentum.
Pronostics :
- Vainqueur Nevada : Sanders (ou Steyer)
- Abandons : Aucun certainement mais Gabbard et Warren vont commencer à souffrir
Et comme on passe par Las Vegas cette semaine, voici la côte des candidats sur les sites de paris.
