Chaque semaine, je publierai un article sur les états clés qui permettront à l’un des 2 candidats, Biden ou Trump, d’atteindre la barre fatidique des 270 grands électeurs, synonyme d’élection. Sixième chapitre du dossier Route 270 aujourd’hui, avec un focus sur l’Etat de Virginie et ses 13 grands électeurs en jeu en 2020. Si la Virginie est un état où la lutte est toujours serrée, la tendance pour les démocrates s’accentue d’années en années après plus de 50 ans de domination républicaine. En 2016, c’est au regard des premiers résultats tombés en Virginie que la victoire de Trump a semblé possible… A l’inverse, la Virginie annoncera-t-elle la revanche des démocrates en 2020 ?

QUELQUES CHIFFRES DE LA VIRGINIE

• Population : 8 535 519 habitants
• Capitale : Richmond
• Plus grande ville : Virginia Beach
• Répartition démographique : 62% blancs, 20% noirs, 10% hispaniques, 7% asiatiques
• Nombre de grands électeurs : 13
• Représentation locale : 1 gouverneur, 2 sénateurs et 7 représentants démocrates ; 4 représentants républicains
• De quel côté ça penche sur les 5 dernières élections ? : Démocrates 3 – Républicains 2
• Résultats 2016 : Clinton 49,8% Trump 44,4%
• Un film : Pocahontas le dessin animé ou Nouveau Monde version film (eh oui, la vraie Pocahontas vient de Richmond, n’en déplaise à la fausse Pocahontas du Massachussetts Elisabeth Warren)

HISTOIRE DE LA VIRGINIE

La Virginie est l’un des plus vieux états des Etats-Unis. Situé sur la côte Est, ce territoire est tout d’abord partagé entre 3 tribus amérindiennes : les iroquois, les sioux et les algonquins. Les européens entrent en scène en 1540 dans la région. Les Espagnols sont alors les premiers à essayer de fonder une colonie, persuadés de découvrir de l’or en Virginie. Bredouilles, les espagnols sont accueillis de manière particulièrement hostile par les natifs qui s’en prennent aux différentes colonies et congrégations religieuses qui tentent de s’installer dans cet état. Devant cet échec, les espagnols abandonnent définitivement la région à la fin du siècle, supplantés par l’arrivée d’un nouvel acteur : les anglais. Tout comme leurs prédécesseurs, les anglais s’installent en 1584 dans un comté appartenant désormais à la Caroline du Nord dans l’espoir de trouver de l’or. Cette première colonie, ne parvenant pas à ses fins et attendant désespérément le ravitaillement de la couronne britannique qui n’arriva jamais, disparaît en 1587. Des informations recueillies par les survivants furent rapportées à la reine Elisabeth I, en particulier le fait qu’un roi amérindien se faisait appeler Wingina. La légende raconte que la reine préféra renommer cette région « Virginia », peut-être en résonance de son surnom de « Virgin Queen ». Pour l’anecdote, Wingina signifiait en réalité « Vous portez de beaux habits » en algonquin. Les anglais ne désespèrent pas et finissent par fonder leur première colonie à Jamestown en 1607 dans l’espoir de trouver de l’or mais aussi de propager le protestantisme dans le Nouveau Monde. Une guerre éclate avec les tribus amérindiennes en 1610 avec la capture de Pocahontas, fille d’un roi de tribu. Acculé par les amérindiens et mis en échec par l’absence d’or, John Rofle parvient à sauver la colonie par 2 gestes : l’introduction de plantations de tabac, créatrices de revenus durables pour la colonie et son mariage avec Pocahontas qui met fin au conflit avec les tribus en 1614. Les conflits se poursuivent malgré tout avec les amérindiens jusqu’au traité de paix de 1646 qui assure la mainmise définitive des colons anglais sur la région.

La colonie de Virginie devient alors le fer de lance de la présence des anglais sur le nouveau continent. Pour autant, cette colonie va voir germer de nombreuses rébellions au cours des 2 siècles de domination britannique. En effet, lors de la révolution anglaise, la colonie marque son attachement à la couronne et à la monarchie déchue. De nombreux royalistes émigrent dans cette région pour se réfugier et quelques conflits entre royalistes et républicains pour le contrôle de la colonie. Suite au retour de la monarchie, l’industrie du tabac fait prospérer la colonie et de nombreux esclaves africains sont utilisés pour maintenir un fort taux de production. Au XVIIIème siècle, la colonie compte plus de 500 000 habitants et s’étend de plus en plus à l’ouest, vers le Canada Français. C’est dans cette partie de l’Amérique que grandit George Washington. Suite à la guerre de 7 ans achevée en 1763, l’Angleterre règne en maître dans la région et l’influence française décroît. Toutefois, les dettes accumulées par la couronne britannique pour financer cette guerre obligent celle-ci à augmenter drastiquement ces impôts. Le parlement anglais décide de faire payer le prix fort à ses expatriés de Virginie qui se révoltent en retour en empêchant les marchandises de quitter les ports. En 1775, le gouverneur de Virginie fait vider les réserves de poudre à canon de la ville de Williamsburg pour fournir un bateau anglais. Une bataille militaire a lieu entre la milice populaire dirigée par Washington et le gouverneur qui provoquent, en parallèle des premiers conflits à Boston, la guerre d’indépendance américaine. La Virginie se déclare indépendante le 15 mai 1776 et ratifie la déclaration d’indépendance des états du Commonwealth le 4 juillet 1776. Différentes batailles célèbres ont lieu en Virginie au cours des 8 années de guerre où la France et La Fayette sont particulièrement actifs. Les rebelles l’emportent définitivement en 1782 et le traité de Paris de 1783 entérine l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique dont l’Etat de Virginie.

Avec le traité de paix, le début du XIXème siècle est plus calme et prospère pour la Virginie qui reprend l’exportation intensive de tabac vers l’Europe. Sur le plan politique, après George Washington, l’Etat fournit 4 des 5 premiers présidents dont Thomas Jefferson. Les exploitations minières et l’industrie du bois se développent à l’est avec l’aide des esclaves noirs, tandis que l’ouest de la Virginie se tourne vers l’agriculture, sans utilisation massive d’esclaves. Lors de la guerre de sécession, la Virginie rejoint les confédérés tandis que les unionistes prennent possession de l’ouest. Les confédérés prennent pour capitale Richmond et les conflits se multiplient entre l’Ouest et l’Est de l’Etat. Les 2 états se séparent définitivement au cours du conflit (l’ouest devenant la Virginie Occidentale) et la guerre civile prend fin avec la prise de la capitale des confédérés en 1865. S’en suit alors une phase de reconstruction pour l’Etat de Virginie dévasté. La révolution industrielle permet à l’économie de se relever grâce à l’industrie ferroviaire. Le développement de la cigarette au XXème siècle favorise également le redressement de la Virginie. Sur le plan politique, les différents gouverneurs démocrates qui se succèdent à la tête de l’Etat favorisent le retour de lois ségrégationnistes au cours de la première moitié du siècle et la communauté noire perd progressivement en influence. Dans la seconde moitié du siècle, la Virginie devient l’une des places fortes de la lutte pour les droits civiques de la communauté noire et l’Etat met fin aux politiques de ségrégations dans les années 60. En 1990, la Virginie élira même le premier gouverneur noir du pays, Douglas Wilder.

L’économie de Virginie repose aujourd’hui principalement sur la défense, du fait de la présence du département de la défense à Airlington, le célèbre Pentagone mais aussi sur les nouvelles technologies de l’information et en particulier, internet. Les industries de la biotechnologie et de la nanotechnologie ont également connu un grand essor en ce début de XXIème siècle. En parallèle, les industries traditionnelles du tabac, du charbon mais aussi l’industrie du bétail et la production de cacahuètes ou de tomates restent d’importantes sources de revenus dans les zones rurales de l’Etat. La viticulture de Virginie est également de plus en plus populaire. Enfin sur le plan sociétal, l’Etat compte l’une des plus fortes communautés noires qui représentent plus de 20% de la population totale.

LA VIRGINIE ÇA SWING !

La Virginie est donc un état qui compte dans chaque élection depuis la création des Etats-Unis. 8 présidents proviennent de cet Etat. Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, l’Etat est toujours resté fidèle aux républicains mais depuis 2008, ce sont les candidats démocrates qui ont la mainmise sur cet état. L’état devrait être disputé en 2020 même s’il penche de plus en plus côté démocrate. Il n’en reste pas moins particulièrement scruté par les analystes, le soir de l’élection car il est le premier état très disputé, avec le New Hampshire, à donner ses premiers résultats.

La Virginie a connu un important boom démographique en ce début de XXIème siècle. Les populations urbaine et suburbaine ont particulièrement augmenté dans la zone du Potomac au Sud de Washington D.C. et ces populations ont, comme le reste de l’Amérique, eu tendance à se tourner vers le parti démocrate ces dernières années. A contrario, les zones rurales ont désormais pris fait et cause pour le parti républicain. L’Etat est dirigé par un gouverneur démocrate depuis près de 10 ans et les démocrates dominent en nombre de députés dans l’état (7 contre 4), alors que les républicains étaient 8 contre 3 en 2010.

En 2016, Clinton avait choisi Tim Kane, un élu local, comme colistier ce qui lui avait permis de conserver l’état et l’avantage sur Trump dans les zones périurbaines. Par ailleurs, le discours anti establishment de Trump avait pu effrayer certains employés du Pentagone vivant dans l’Etat. Si Biden ne devrait pas choisir de colistier de cet état cette fois, il semble difficile pour Trump de resserrer l’écart avec Sleepy Joe en Virginie. La tendance irait plutôt vers une victoire plus confortable pour les démocrates mais le président américain est populaire au sein du Pentagone et des militaires. Son attachement pour cet état fait qu’il ne manquera pas de mener une campagne énergique ici comme en 2016, même si le succès semble peu plausible. Un écart serré sera un très bon signe pour Trump le 3 novembre, dans le cas contraire, les démocrates pourront commencer à y croire.

3 SCÉNARIOS POUR UNE ÉLECTION

Chaque semaine, je me permettrai un petit pronostic dans l’état clé que je présente. A mi-juillet, j’imagine 3 scénarios d’élection pour Novembre : une élection serrée au national avec une victoire finale de Trump, une élection serrée au national avec une victoire finale de Biden et une élection sanction avec victoire large de Biden. J’écarte le scénario d’une victoire large de Trump qui me parait, du fait de la personnalité clivante de Trump, peu probable. Comme en 2016, j’ai du mal à croire à une victoire tout aussi large de Biden du fait de l’extrême polarité des 2 camps mais comme les sondages nous prédisent pour l’instant ce scénario, je dois sérieusement l’envisager. Voilà ce que ces 3 scénarios impliqueraient pour l’état de Virginie :

Scénario 1 : Trump gagne une élection serrée

Dans ce cas de figure, je pense que Trump devrait faire au moins aussi bien qu’en 2016 si ce n’est réduire encore l’écart dans les zones périurbaines. Il pourrait y avoir alors moins de 5 points d’écart avec Biden. Toutefois, il faudra que Trump fasse un score plus élevé qu’en 2016 au sein de la communauté afro américaine ici. C’est ce que les sondages semblent indiquer pour le moment.

Scénario 2 : Biden gagne une élection serrée

Pour ce scénario-ci, Biden devrait l’emporter certainement avec 5 à 10 points d’avance sur Trump. S’il choisit un colistier afro-américain, il se pourrait que la communauté se mobilise pour les démocrates de manière aussi enthousiaste qu’en 2008 et 2012. Toutefois, il est plus probable que Biden doive son succès à de meilleurs résultats chez les blancs de plus de 65 ans dans ce cas de figure.

Scénario 3 : Biden l’emporte largement

Si Biden l’emporte largement, la Virginie pourrait donner près (voire plus) de 10 points d’avance au démocrate. Dans ce scénario, la mobilisation de la communauté afro combinée aux craintes liées à l’épidémie de Coronavirus au sein des électeurs âgés entameraient le début d’une soirée catastrophe pour Donald Trump.

Mon Pronostic : Victoire de Biden avec un peu plus d’avance qu’en 2016.