Chaque semaine, je publierai un article sur les états clés qui permettront à l’un des 2 candidats, Biden ou Trump, d’atteindre la barre fatidique des 270 grands électeurs, synonyme d’élection. Douzième chapitre du dossier Route 270 aujourd’hui, avec un focus sur l’Etat du Nevada et ses 6 grands électeurs en jeu en 2020. Tout comme l’Ohio lors de l’épisode précédent, nous sommes face à un état qui choisit presque toujours le bon cheval : depuis 1908, le Nevada a voté comme les Etats-Unis sauf à 2 occasions, 1976 et… 2016. Etat perdu par Trump de 2 points en raison du vote des hispaniques, très favorables alors à Hillary Clinton. En 2020, le Nevada semble encore plus pencher à gauche cette fois et Trump aura fort à faire pour inverser la tendance ici. Mais les espoirs sont tout de même permis ici : la communauté latino apprécie plus Trump qu’en 2016 et le débat du vote par correspondance, généralisé au Nevada, va obliger l’administration locale à renforcer les contrôles sur les bulletins de vote… Si l’élection est serrée, le Nevada sera-t-il le faiseur de roi de la présidentielle 2020 ?

QUELQUES CHIFFRES DU NEVADA

• Population : 3 080 156 habitants
• Capitale : Carson City
• Plus grande ville : Las Vegas
• Répartition démographique : 51% blancs, 28% hispaniques, 9% noirs, 8% asiatiques
• Nombre de grands électeurs : 6
• Représentation locale : 1 gouverneur, 2 sénateurs et 3 représentants démocrates ; 1 représentant républicain
• De quel côté ça penche sur les 5 dernières élections ? : Démocrates 3 – Républicains 2
• Résultats 2016 : Clinton 47,9% Trump 45,5%
• Un film : Hangover. Tout est dit, ce qui se passe à Vegas reste à Vegas mes chers lecteurs.

HISTOIRE DU NEVADA

Quand on pense au Nevada, nous vient à l’esprit Las Vegas, ville des casinos où l’on ne dort jamais et l’environnement peu accueillant avec le célèbre désert de la Death Valley qui détient le record de température de l’ère contemporaine depuis cet été (55°C). Pourtant, le nom de l’Etat a été donné en raison de la chaîne de montagnes qui la traverse, la Sierra Nevada, qui signifie montagne enneigée. Avant l’arrivée des européens, du fait de cet environnement hostile, le Nevada est quasiment inhabité. Ce sont les espagnols, menés par le missionnaire franciscain Francisco Gardes, qui découvrent la région en 1770. Elle est rattachée à l’empire de la Nouvelle Espagne et est administrée par la région de la Haute Californie. Ce territoire devient mexicain suite à l’indépendance du Mexique en 1821 mais reste peu habité. Les quelques habitants font montre de velléités d’autonomie voire d’indépendance vis-à-vis de l’Etat fédéral mais la guerre américano-mexicaine, qui éclate en 1846, précipite le destin de ce territoire, acquis par les Etats-Unis lors du traité de Guadalupe Hidalgo en 1848. Contrairement aux espagnols et aux mexicains, les américains investissent rapidement les lieux, attirés par l’or de la Californie limitrophe. Les mormons sont les premiers à s’installer au Nevada de façon permanente en 1851. Quelques conflits avec les indiens ont lieu dans la région au début des années 1860 suite à la découverte de mines d’or à Virginia City. Au cours de la guerre de sécession, le Nevada reste sous le contrôle des Unionistes et accède même au statut d’Etat en 1864. Carson City en devient la capitale administrative.

Au cours des 50 années suivantes, l’économie du Nevada se base surtout sur l’exploitation de ses ressources naturelles. En effet, grâce à la découverte de mines d’argent en 1859, des milliers de personnes en provenance de Californie s’installent dans la région et le Nevada sort de la dépression économique. L’Etat crée la plus grande réserve d’eau du pays en 1867, le lac Mead, pour permettre à cette population de s’installer dans la ville de Reno. Des mines d’or sont également découvertes vers Aurora en 1860. Afin de favoriser le transport de l’or et de l’argent, l’activité ferroviaire se développe entre les villes et les mines. Outre cette activité minière, des fermiers parviennent à vivre des élevages bovin et ovin en dépit de l’aridité de la région (87% des terres sont non viables). Ainsi, malgré cette activité minière et agricole, le Nevada reste, de loin, l’Etat le moins peuplé en 1930, la population atteignant péniblement 91 000 habitants dont 5 000 à Las Vegas et 19 000 à Reno. Cet état très conservateur qui avait mis en place des lois anti-jeux d’argent au début du siècle, connaît un tournant idéologique avec la Grande Dépression de 1929 qui ruine les exploitants miniers. Le gouverneur de l’époque décide alors de légaliser les jeux d’argent et la prostitution pour aider le Nevada à relever économiquement. Les casinos fleurissent à Reno et surtout Las Vegas et deviennent rapidement devenir la principale source de revenus de l’Etat. En outre, avec la Seconde Guerre Mondiale, l’armée américaine installe des bases au milieu des déserts mais c’est surtout à partir de 1951 que le Nevada devient un véritable centre d’expérimentations avec la réalisation de tests nucléaires dans la fameuse zone 51, popularisée dans de nombreux films de science-fiction.

Aujourd’hui, le Nevada évolue avec sa démographie. Avec le développement des casinos et de l’activité touristique, le Nevada a connu un boom démographique à la fin du XXème siècle. Fort de 3 millions d’habitants, la société du Nevada hésite politiquement entre le progressisme parfois le plus gauchiste (Sanders est très populaire dans cet état) et le conservatisme le plus radical (anti avortement, pro-armes). Par ailleurs, le Nevada compte l’une des plus fortes communautés hispaniques (28%) et les blancs devraient représenter moins de 50% de la population d’ici la fin de la décennie 2020. De ce fait, le Nevada bascule facilement d’un camp à un autre lors des élections présidentielles mais fait presque toujours le même choix que la nation (25 fois sur les 27 dernières élections). D’un point de vue économique enfin, le tourisme est désormais la pierre angulaire de son économie. Las Vegas attire des millions de touristes chaque année qui viennent tenter de gagner aux jeux ou viennent tout simplement profiter des nombreux spectacles et hôtels grandioses. Ces derniers sont d’ailleurs les principaux pourvoyeurs en emplois dans la région. Outre les emplois connectés au tourisme, le sol du Nevada reste une importante source de revenus. En effet, plus de 190 000 kg d’or sont extraits chaque année ce qui rapporte près de 3 milliards de dollars au Nevada. 290 000 kg d’argent sont également prélevés des entrailles de l’Etat et rapportent 70 millions de dollars par an. Enfin, le Nevada reste une terre agricole avec l’élevage de près de 500 000 bovins et 70 000 ovins par an.

LE NEVADA ÇA SWING !

Comme évoqué en préambule, le Nevada est, au même titre que l’Ohio, un véritable Etat Bascule. Sur les 12 dernières élections, le Nevada a penché 7 fois côté républicain et 5 fois côté démocrate. Toutefois, depuis 2008 et l’élection d’Obama, l’Etat penche de plus en plus côté démocrate. Lors des Mid-Terms de 2018, 3 des 4 districts ont choisi un représentant démocrate. Il est désormais particulièrement convoité en raison de son poids grandissant dans le collège électoral : avec 6 grands électeurs, le Nevada pèse autant que l’Iowa. Aujourd’hui, aucun candidat ne peut donc faire l’impasse ici et Trump et Clinton avaient particulièrement quadrillé le terrain en 2016.

A quoi peut-on s’attendre en 2020 ? Le Nevada a beaucoup de similitudes avec les états de la Rust Belt. Plus d’un quart des électeurs peuvent être associés à la catégorie des « cols bleus » : peu diplômés, souvent employés en tant que petit personnel dans les hôtels et restaurants de la région, très syndiqués, ces électeurs ont le profil ciblé par la campagne de Donald Trump. Le Nevada fait d’ailleurs partie de la liste de 3, 4 états que le président a coché comme nouveaux états gagnables en 2020. Il a repris les meetings début septembre et s’est rendu dans le Nevada où il a réuni plus de 5 000 personnes gonflées à bloc. Toutefois, cette classe populaire est en majorité latino et plus progressiste : le Nevada est même un des bastions de la gauche du parti démocrate, tendance Sanders et cette minorité s’était rangée largement derrière Clinton en 2016. La pandémie de covid 19 a particulièrement frappé le Nevada et le chômage a explosé dans la région. Avec plus de 15% de la population active au chômage et l’activité touristique à l’arrêt, l’économie est redevenue le sujet principal de la campagne et sur ce thème, Trump apparaît plus crédible que Biden pour relancer l’emploi. Par ailleurs, Joe Biden est un candidat peu apprécié par la communauté hispanique et il pourrait payer le fait d’avoir choisi un vice-président afro-américain plutôt que latino. Au contraire, la popularité de Trump s’est renforcée auprès de cet électorat, particulièrement pointé du doigt par Trump en 2016 avec l’histoire du Mur (beaucoup moins cette fois). En conséquence, l’année 2020 est plus indécise qu’il n’y paraît et un événement pourrait avoir un impact : le vote par correspondance.

Le thème de campagne qui peut faire basculer l’etat

Vous en avez sûrement entendu parler dans les médias, Trump est passé à l’offensive sur le système de vote aux Etats-Unis. Les américains ont 3 possibilité pour voter :

• le vote anticipé : les électeurs peuvent se rendre physiquement à des bureaux de vote spéciaux avant le scrutin. Au Nevada, il sera possible de voter en anticipé du 17 au 30 octobre.
• le vote en personne : comme en France, plusieurs bureaux de vote sont ouverts dans différents endroits. Au Nevada, première polémique : le gouverneur démocrate, sous prétexte de covid, a réduit le nombre de bureaux à la campagne à 1 par village contre 100 dans la ville de Las Vegas. Or Trump est particulièrement performant dans les zones rurales. Certaines personnes pourraient être découragées d’aller voter le jour J face aux éventuelles queues. Autre différence avec la France, aucune carte d’identité n’est demandée aux électeurs, il est donc difficile de savoir si toutes les personnes qui votent ont bien ce droit.
• le vote par correspondance ou par procuration : contrairement à la France, il est possible d’envoyer son bulletin par la Poste. Les règles diffèrent selon les états. Au Nevada, l’Etat a recensé tous les électeurs actifs et leur envoie les bulletins par courrier. Ensuite, les électeurs peuvent envoyer par courrier leur vote jusqu’au 3 novembre. Pour être validé, le courrier doit être cacheté avec une date allant jusqu’au jour du vote et le bulletin doit être réceptionné avant le 10 novembre. En conséquence, le 4 novembre au matin, tous les bulletins n’auront pas été comptabilisés et il est possible que le vainqueur change entre le 3 et le 10 novembre.

En 2016, 33 millions de votes par correspondance ont été comptabilisés mais en 2020, les sondages indiquent que 33% des américains souhaitent voter ainsi dont 50% des électeurs qui se déclarent démocrates. Donald Trump s’oppose donc au vote par correspondance qui avantagerait la fraude. En outre, le système postal est particulièrement malade aux Etats-Unis et pourrait être incapable de traiter un tel flux de courriers en si peu de temps. Le risque est donc grand pour que des bulletins soient perdus, que le système soit saturé ou que des bulletins soient au contraire ajoutés… En 2016, Trump avait gagné l’élection le jour du vote mais ce sont les votes par correspondance, très largement favorables à Clinton qui avaient fait pencher l’élection en la faveur de cette dernière. Les contrôles étant peu réalisés au Nevada, l’équipe de campagne du président poursuit actuellement l’Etat pour demander un contrôle plus strict sur les courriers qui seront envoyés aux électeurs, afin d’éviter que certains électeurs âgés de 150 ans votent pour le candidat le plus âgé de l’histoire… En définitive, plus il y aura de contrôles et de bulletins rejetés, plus les chances de Trump de remporter le Nevada seront grandes. Une chose est certaine à ce stade, si l’écart est serré le 4 au soir, il est encore plus probable que le vainqueur dans cet état ne sera pas connu avant le 10 novembre.

3 SCÉNARIOS POUR UNE ÉLECTION

Chaque semaine, je me permettrai un petit pronostic dans l’état clé que je présente. A mi-juillet, j’imagine 3 scénarios d’élection pour Novembre : une élection serrée au national avec une victoire finale de Trump, une élection serrée au national avec une victoire finale de Biden et une élection sanction avec victoire large de Biden. J’écarte le scénario d’une victoire large de Trump qui me parait, du fait de la personnalité clivante de Trump, peu probable. Comme en 2016, j’ai du mal à croire à une victoire tout aussi large de Biden du fait de l’extrême polarité des 2 camps mais comme les sondages nous prédisent pour l’instant ce scénario, je dois sérieusement l’envisager. Voilà ce que ces 3 scénarios impliqueraient pour l’état du Nevada :

Scénario 1 : Trump gagne une élection serrée

Dans ce cas de figure, il est fort possible que Trump parvienne à l’emporter. Plus soutenu par la communauté latino qu’en 2016, Trump parviendrait à préserver son avantage au sein de la classe moyenne blanche périurbaine, plus à même de faire confiance au Président pour relever l’économie de l’Etat du Nevada.

Scénario 2 : Biden gagne une élection serrée

Pour ce scénario-ci, Biden devrait parvenir à l’emporter dans les mêmes proportions que Clinton en 2016. Il profitera à plein du système de vote par correspondance, système de vote préféré par les électeurs affiliés au parti démocrate, peu enclins à se déplacer le jour J en cette période de pandémie. Dans cette hypothèse, la communauté latino n’aura pas abandonné Biden.

Scénario 3 : Biden l’emporte largement

Si Biden l’emporte largement, le Nevada ne devrait être qu’une formalité pour le parti démocrate. La mobilisation de la communauté noire sera particulièrement scrutée. Dans ce cas de figure, il est fort probable que Biden parvienne à récupérer des voix au sein de la population âgée de plus de 65 ans, particulièrement inquiétée par l’épidémie de coronavirus. Lors des primaires démocrates de février, le débat sur le système de santé avait particulièrement fait rage et plutôt tourné à l’avantage des propositions de l’ancien vice-président.

Mon Pronostic : Victoire de Biden avec 3 à 5 points d’avance.