Dans ce troisième épisode des primaires démocrates, nous allons revenir, encore une fois, sur les divisions profondes du parti qui ont fait 1 victime, Bloomberg, et fragilisé un peu le leader Bernie Sanders. Malgré sa victoire incontestable au Nevada, des propos malheureux de Bernie sur le bon bilan de Fidel Castro ont ravivé les tensions au sein du parti démocrate et donné des armes aux républicains, bienheureux de pouvoir crier aux dangers du risque socialiste. Cette semaine de primaire a aussi vu le retour de l’ancien champion du parti, Joe Biden. Gaffeur, menteur ou peut-être sénile, Sleepy Joe s’est enfin réveillé lors des débats. Sa 2ème place dans le caucus du Nevada et sa position de leader incontestable dans les sondages en Caroline du Sud laissent entrevoir une occasion pour Biden de revenir dans le match, juste avant le Super Tuesday de mardi prochain. L’ancien favori du parti va-t-il enfin connaître son « momentum » ?
Débat au Nevada : L’argent ne fait pas le bonheur
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Comme annoncé dans l’épisode 2, Bloomberg prenait un gros risque à se présenter face à ses adversaires dès le débat organisé dans le Nevada. Si Mini-Mike, comme l’appelle affectueusement Donald Trump, avait habilement acheté les espaces publicitaires entre chaque pause du débat, il n’a pas pu faire taire les autres candidats avec son argent. Au contraire, ce premier débat a vu le comeback d’Elizabeth Warren, revigorée par la présence d’un milliardaire à sa droite. Offensive, adressant des punchlines qui ont fait mouche, elle a survolé le débat sur la forme et mis à mal la dynamique de Bloomberg. Sanders, relativement épargné a profité également de la présence de la 9ème fortune mondiale pour dérouler son argumentaire progressiste anti-riches plus cohérent que Warren.
Le Nevada étant un état plus diversifié en terme de population que l’Iowa ou le New Hampshire, les progressistes jouaient sur du velours ce soir là et les autres candidats centristes n’ont pas réussi à marquer des points. Buttigieg et Klobuchar ont, ainsi, préféré se combattre durement plutôt que d’attaquer le camp d’en face. En effet, Klobuchar ne supporte pas qu’un jeune homme de 38 ans ait pris sa place de nouvelle figure dans cette campagne. Si Amy a un discours simple qui peut plaire aux classes moyennes blanches de la rust belt, il faut avouer qu’elle a cette fois-ci été supplantée par le talent oratoire de son jeune acolyte, plus calme et mieux représentatif de cette éventuelle troisième voie unificatrice des camps modérés et progressistes au sein du parti démocrate. Toutefois, ce combat là est apparu comme une lutte entre 2 nains supplantés par les anciens.
Ce débat a marqué un début de réveil annonciateur de Sleepy Joe. Enfin percutant, Biden s’est, lui aussi, posé en champion centriste plus acceptable que Bloomberg et a semblé être le vainqueur indirect de la catastrophique performance de Mini Mike.
Quelles sont les raisons de cet échec relatif de Bloomberg ? Si un grand portefeuille et d’énormes dépenses peuvent permettre de créer un « momentum », comme aiment le dire les américains, Bloomberg a fait tâche avec son discours très centriste. En réalité, il semblait que le candidat s’était trompé de primaire. Son positionnement peut, en effet, se comprendre : les électeurs américains sont contents de la politique de Trump à 65% et voudraient qu’elle soit poursuivie mais sans Trump, dont la personnalité est jugée trop peu présidentielle. Bloomberg aurait pu se présenter contre Trump dans la primaire républicaine si les résultats économiques avaient été médiocres. Toutefois, la situation dans les 2 partis, où les bases se sont radicalisées, ne lui laissent pas beaucoup de chances de réussir dans l’un ou l’autre camp. Selon moi, Bloomberg aurait dû faire ce qu’il n’a jamais osé faire par le passé, se présenter en indépendant directement à la présidentielle. Il y a eu très peu de présidentielles avec plus de 2 candidats majeurs lors d’une élection américaine. C’est arrivé en 1992 et 1996 avec Ross Perot. Milliardaire dans le domaine de l’informatique, ce dernier était parvenu à réunir 19% puis 8% des voix sur son nom et avait aidé grandement Bill Clinton à être élu contre Bush père. La position de Bloomberg ne semble pas viable et ce débat l’a démontré de manière flagrante.
Sanders, leader incontestable…

Suite à ce premier débat, le Nevada s’est prononcé, samedi 22 février, en très grande majorité pour Sanders. Bernie a récupéré 2/3 des délégués en jeu et pris une avance nette sur Buttigieg et Biden dans la course aux délégués.

Avec 24 délégués contre 9 pour Biden et 3 pour Buttigieg, Sanders est parvenu enfin à mobiliser son électorat jeune et progressiste dans les urnes. La participation a d’ailleurs atteint un niveau record dans le Nevada ce qui est très bon signe pour les prochaines échéances électorales. Si Buttigieg poursuit sa domination sur l’électorat blanc (26% contre 24% pour Sanders), et que Biden reste le candidat de la communauté noire, héritage de sa présidence avec Obama (28% contre 23% pour Sanders), c’est le vote de la communauté latino (plus de 40% de la population du Nevada) qui a offert ce succès si large à Bernie (plus de 50% des voix).
Sanders a donc démarré la semaine dans une position de leader incontestable et qui semblait bientôt incontesté. Nancy Pelosi et Hillary Clinton, des caciques de l’aile centriste, ont ouvert la porte à un soutien inconditionnel à Bernie Sanders en cas de succès de ce dernier dans la primaire démocrate. Tous les signaux étaient donc au vert pour le candidat socialiste et les médias américains commençaient à envisager une victoire pour lui lors de la primaire de Caroline du Sud puis du Super Tuesday.
Pourtant, la machine s’est enrayée pour deux raisons : tout d’abord Bernie Sanders a ostensiblement abandonné la primaire de Caroline du Sud où la sociologie des électeurs (majorité afro-américaine) avantage grandement Joe Biden. Bernie a préféré concentré les efforts sur les 14 états du Super Tuesday pour porter un coup fatal à tous ces concurrents mardi prochain. Or, la primaire de Caroline du Sud est souvent le tournant dans les campagnes et le moment où il faut être au rendez-vous. C’est là-bas que Bill Clinton avait sauvé sa candidature en 1992 après un démarrage poussif. L’autre raison de l’enrayement est venue des déclarations de Crazy Bernie lors d’un meeting en Floride. Le candidat a porté un regard nuancé sur la politique de santé et d’éducation de Fidel Castro, louant la gratuité et la qualité des soins prodigués dans ce pays. Il n’en fallait pas plus pour exciter toute la communauté cubaine de l’état, ainsi que les ténors centristes du parti démocrate pour tomber sur Bernie Sanders et l’accuser d’être un dangereux communiste. Cette déclaration, la veille du débat en Caroline du Sud, a donné des munitions à ses adversaires qui se sont faits un malin plaisir de les utiliser…
… durement tancé lors du second débat : Haro sur le Baudet !

Le débat en Californie du Sud a tourné au pugilat contre Sanders. Accusé d’être un communiste par Bloomberg, envoyé dans les cordes par ses adversaires sur le financement de son projet de Medicare for all, Sanders n’a pu que répondre aux coups et subir au cours de ce débat. Les réponses apportées à ces différentes attaques n’ont pas toujours été très convaincantes et le doute s’est installé sur sa capacité à gagner en 2020. En effet, Sanders est très fort dans des Etats déjà acquis aux démocrates et son succès dans les swing states dépendra de sa capacité à mobiliser des électorats qui ne viennent habituellement pas voter. En outre, l’élection présidentielle américaine s’accompagne d’une élection au Congrès et un renouvellement du tiers des sièges du Sénat. Or, les états majors démocrates craignent de perdre certains districts clés en Floride ou dans certains états de la Rust Belt si Bernie Sanders est choisi candidat, ce qui pourrait provoquer une perte du Congrès en 2020 pour les démocrates.
En ce qui concerne les autres candidats, Bloomberg a réalisé une prestation correcte sans plus et a donné le sentiment que sa dynamique était désormais rompue. Il ne devrait être que le 3ème homme lors du Super Tuesday alors qu’il espérait être le champion des modérés. Warren, Buttigieg et Klobuchar ont réalisé des prestations de bonne facture mais font désormais figures d’outsiders en déclin. Pour ces 3 là, la question était de savoir s’il s’agissait de leur ultime débat ou s’ils survivraient au Super Tuesday.
Enfin, le vainqueur du débat a semblé être Joe Biden. Revigoré par des sondages de plus en plus bons en Caroline du Sud, Biden a pour la première fois réalisé un débat de bonne facture. Il dispose encore de deux atouts sur tous les autres candidats modérés : il est expérimenté et il jouit d’une notoriété aussi grande que Sanders et Bloomberg.
Primaire de Caroline du Sud : le retour de The Walking Biden ?

Joe Biden c’est un peu comme les zombies dans The Walking Dead. Il y a une semaine, jour de la primaire du Nevada, Sleepy Joe était mort et enterré… Les analystes le voyaient abandonner ce soir avec une défaite humiliante en Caroline du Sud. Mais Biden a ressuscité : arrivé solidement 2ème au Nevada et fort de 2 bonnes prestations aux débats, Joe Biden a repris largement l’avantage en Caroline du Sud, état où il a tout misé depuis le début.
Considérant le système de vote par caucus à l’avantage de Sanders et le New Hampshire étant un état frontalier du Vermont, état de Bernie, Biden était persuadé qu’il ne commencerait à prendre le dessus dans cette campagne qu’en Caroline du Sud. Les premiers résultats et la percée de Buttigieg et Klobuchar confirment, au contraire, que ces 3 états étaient jouables pour Biden. En ne démarrant pas fort dans ces états, Biden a perdu sa place de leader au profit de Sanders. Avant le début des primaires, il apparaissait comme le seul candidat capable de réunir une majorité de délégués à la convention et, même s’il n’y parvenait pas, une première place en nombre de délégués aurait été confirmée à coup sûr par les superdélégués au 2nd tour. Biden va certainement refaire surface ce soir mais quelque soit l’ampleur de sa victoire, Biden ne parviendra pas à transformer l’essai comme espéré au Super Tuesday : il n’aura que 3 jours pour profiter de la dynamique d’une victoire en Caroline du Sud et il souffrira de la concurrence d’un Bloomberg beaucoup trop fort dans des états où il aurait battu Sanders haut la main.
Les prochains jours devraient confirmer le rôle de challenger modéré de Sanders mais le retard accumulé en nombre de délégués sur ce dernier pourrait être irrattrapable d’ici à la convention. On se retrouverait dans le scénario du pire à la convention : un Sanders premier mais trop loin de la majorité et un Biden deuxième affaibli qui serait certainement choisi malgré tout comme champion des démocrates contre Trump. Quand on connaît la puissance de Trump en campagne, on peut légitimement s’inquiéter pour les démocrates si Biden gagne le ticket de cette façon. Par ailleurs, si Biden profite d’un momentum actuellement, il devrait à son tour être la cible des critiques et ses nombreuses gaffes et son insincérité pourraient lui coûter cher. Pour rappel, en 1988, Biden avait retiré sa candidature suite à un plagiat effectué lors d’un discours et pour avoir trafiqué son CV. Lors du débat de Caroline du Sud, Biden a expliqué qu’il avait tenté de rencontrer Mandela au cours de sa captivité et qu’il avait été arrêté par la police sud-africaine… Hier, il a confirmé à demi-mot avoir inventé cette histoire… A l’heure où les démocrates accusent à longueur de journée Trump de colporter des fake news, sont-ils prêts à faire fi du passé chaotique avec la vérité de l’ancien vice-président américain et à le choisir lui plutôt qu’un socialiste cohérent ? C’est la question qui risque de se poser à partir de mercredi prochain dans les rangs du parti.

Pronostics :
- Vainqueur Caroline du Sud : Biden
- Abandons : Peut-être Steyer s’il fait moins de 15%. Tout le monde devrait s’accrocher jusqu’au Super Tuesday avant qu’une vague d’abandons arrive (dans le désordre Gabbard, Klobuchar, Steyer, Warren, Buttigieg ou Bloomberg)
Rdv mardi pour un épisode 4 très court sur l’analyse des résultats en Caroline du Sud et focus sur le SUPER TUESDAY, moment fort de la primaire démocrate où 14 états voteront simultanément, dont les énormes Etats du Texas et de la Californie…
