Si 62% des délégués sont encore en jeu dans cette primaire démocrate, le Super Tuesday a, comme souvent, fait le ménage. Seulement 3 candidats ont résisté à cette tornade : Biden, Sanders et… Gabbard ! S’il ne s’agissait que du 1er round entre Biden et Sanders, le match apparaît déjà plié. En effet, fort des retraits de Buttigieg et Klobuchar, Biden a non seulement gagné 10 états sur 15 mais, a également pris le dessus en nombre de délégués sur Bernie. Bloomberg s’est rangé derrière lui immédiatement et, si Warren a jeté l’éponge, cette dernière s’est bien gardée de soutenir le challenger malheureux Bernie Sanders. Le calendrier nous promet encore 38 consultations mais les états restants ne sont pas à l’avantage de Sanders et la dynamique est du côté de Biden, qui engrange les soutiens de tous les caciques du parti… Nous n’en sommes donc qu’à l’épisode 5 et je peux vous annoncer, avec une probabilité de 95%, que Biden sera le candidat démocrate contre Donald Trump en novembre prochain. Moi qui pensais réaliser une série de plus de 15 épisodes sur les primaires démocrates et vous emmener jusqu’à une convention contestée, je dois admettre mon échec et revoir en conséquence, comme Sanders, toute la stratégie autour de mon blog pour vous maintenir en haleine plus de 7 mois (je plaisante bien sûr, j’ai de quoi vous maintenir éveillés pour 10 ans avec Sleepy Joe…). Retour en chiffres sur le Super Tuesday, les clés du succès de Biden, l’erreur stratégique de Sanders et la suite des primaires de mars (avec un petit mot pour mon coup de coeur Tulsi Gabbard)…
Le Super Tuesday a tué le match !
10 états remportés dont 3 totalement inespérés pour Biden contre 4 pour Sanders : le succès, même modeste en nombre de délégués, était total en ce Super Mardi pour l’ancien vice-président. En effet, comme je vous le disais dans l’épisode 4, Sleepy Joe est revenu des enfers après 3 premières primaires catastrophiques, une campagne molle et pas d’enthousiasme autour de sa personne. La stratégie de Biden était risquée : tout miser sur la Caroline du Sud sans dépenser un sou dans les Etats du Super Tuesday et espérer un élan incroyable qui emporte tout 3 jours plus tard. C’était du jamais vu mais c’est pourtant ce qu’il s’est produit la semaine dernière. Si Biden a profité des abandons de dernière minute de ses challengers modérés qui lui ont permis de gagner le Super Tuesday sans contestation, celui-ci aurait fait au moins jeu égal avec Sanders et aurait pris un avantage psychologique à défaut de numérique sans cela. Sanders n’avait qu’une chance de succès dans cette primaire : il devait profiter du calendrier des premiers votes, prétendument plus favorables pour lui, pour sortir clairement en tête le soir du Super Tuesday. Avec près de 100 délégués de retard, le retour est difficile voire impossible, surtout quand on regarde la suite du programme des primaires en mars (détails quelques paragraphes plus bas), extrêmement favorables démographiquement à Biden.

Au rayon des losers, Bloomberg a subi une déconvenue terrible qui rassure quelque part sur la démocratie américaine : si l’argent peut beaucoup, il ne permet pas de gagner une élection à lui tout seul. Porter un message auprès de l’électorat et disposer de soutiens de figures importantes du parti sont des facteurs qui emportent plus les suffrages que le simple matraquage publicitaire. Dans le jargon politique américain, on utilise l’expression « The Party decides » pour parler de la puissance des ralliements sur la dynamique d’une campagne. C’est cela qui renforce « l’électabilité » d’un candidat auprès de l’opinion publique. Sanders a cru pouvoir s’en passer comme Trump en 2016, mais comme je vous en parlais dans mes analyses d’avant vote début février, l’électeur démocrate est beaucoup plus sage et prend moins de risques. Biden profite, en outre, de l’héritage jugé encore très positif du règne d’Obama aux yeux des électeurs démocrates. Trump, au contraire, avait pu faire table rase de l’héritage controversé de la dynastie Bush.
Quant à Warren, elle se retire sans gloire en ne parvenant pas à finir mieux que 3ème dans son état du Massachussetts. Beaucoup d’analystes américains, enfermés dans leur prisme d’analyse communautariste, jugent que Warren avait le bon positionnement et le bon discours pour l’emporter mais le mauvais sexe. Je crois, pour ma part, que Pocahontas a simplement perdu, comme Clinton, non pas parce qu’elle est une femme, mais parce qu’elle a été jugée comme une candidate insincère et trop effrayante pour une frange de l’électorat. Son positionnement était effectivement plutôt bon mais elle a choisi de mener une campagne communautaire et rageuse qui lui a mis à dos l’électeur populaire masculin blanc (et noir et latino) qui vote massivement lors des scrutins. Elle était soutenue par tous les médias qui ont été bien plus complaisants avec elle qu’avec Biden ou Sanders traités de sénile pour l’un et de communiste pour l’autre. Vendue comme la candidate féminine d’une minorité à laquelle elle n’appartient pas en réalité, son échec est finalement une bonne nouvelle pour l’appareil démocrate qui aurait couru au désastre avec une telle candidate.
Ceci me permet de glisser quelques mots sur ma candidate préférée qui subit une vraie campagne médiatique misogyne : Tulsi Gabbard. Issue d’une vraie minorité (hawaïenne), de religion hindouiste, Tulsi a très vite percé sur Internet en début de primaire l’été dernier. Extrêmement coriace dans les débats, (elle a tué la candidature de Kamala Harris, une Warren bis de la communauté noire), elle a très vite effrayée l’establishment démocrate qui s’est attachée à l’éliminer des différents débats d’automne et de 2020. Passée sous silence, moquée, Gabbard porte, en réalité, un discours très atypique dans cette primaire et aurait pu jouer un rôle plus intéressant. Ancienne militaire en Irak, militante du non-interventionnisme américain, adepte de la real politik au niveau international (elle souhaite parler aux Russes et a soutenu Bachar Al-Assad face aux terroristes de Daesh), elle représente une gauche patriotique assimilable à ce que représentait un Chevènement en France autrefois. A l’heure du me too et de la recherche d’un traitement médiatique plus égalitaire entre les hommes et les femmes, je remarque la profonde hypocrisie des médias américains qui ne s’émeuvent pas des magouilles du parti démocrate pour exclure encore une fois Gabbard des débats. En effet, elle disposait, avec 2 délégués gagnés, d’un ticket pour le prochain débat prévu le 15 mars, mais les règles ont été changées pour ne pas la voir jouer les trouble-fêtes et devenir une alternative au sein du parti, en cas de raclée face à Trump en novembre prochain. Misogynes ces démocrates !
Le comeback inespéré de Biden : Ok Boomer !

Les Pro-Bernie du net et du réel ont tendance actuellement à expliquer leur probable nouvelle défaite dans une primaire démocrate, par la mainmise de l’establishment démocrate sur le parti qui a réussi, en dernière minute, à se trouver un champion en la personne de Biden. Si, comme nous l’avons vu, cette influence a joué son rôle, Biden et Sanders sont aussi le reflet de deux électorats bien distincts, qui se mobilisent différemment par rapport à 2016 et qui seront difficiles à unir face à Trump : les boomers et les millennials.
A quoi ressemble l’électorat de Biden et comment se mobilise-t-il ?
Tout d’abord, je me base sur les sondages hebdomadaires de l’institut Morning Consult qui suivent plus de 10000 votants démocrates chaque semaine. Biden n’est pas seulement le réprésentant de l’aile modérée, il attire plus spécifiquement 3 types d’électeurs : les femmes, les boomers et la communauté noire. Biden est la force tranquille de cette primaire, en opposition au style déchaîné de Donald Trump. Il veut revenir à l’ère Obama et au dialogue. C’est un discours qui porte chez les femmes qui sont plus conservatrices mais aussi plus attirées par la modération du discours de Biden. C’était déjà la problématique de Sanders en 2016 qui ne parvenait pas à rassurer cet électorat face à son programme jugé révolutionnaire.

En outre, Joe Biden est le candidat des boomers. Il fait plus de 72% des voix chez les plus de 55 ans qui votent toujours en masse lors des primaires démocrates. Par son discours de modération, il rassure cet électorat qui craint de voir disparaître ses assurances santé privées avec la réforme Medicare for all de Sanders qui compte remettre à plat tout le système. Biden est parvenu, en outre, à renforcer cet électorat en attirant à lui les blancs non diplômés qui s’étaient tournés vers Sanders puis Trump en 2016, en appuyant sur la nostalgie de l’époque Obama dans les états de la Rust Belt.


Enfin, il parvient, en tant qu’ancien vice-président d’Obama, à attirer sur son nom une grande majorité des votants afro-américains, communauté hermétique aux discours progressistes de Sanders. Cette communauté a joué un rôle clé dans la victoire de Sleepy Joe dans la primaire de Caroline du Sud et semble plus mobilisée qu’en 2016.

Les mauvais calculs de Bernie : les Millennials feel the Bern mais ne votent pas

En 2016, Sanders a soufflé un vent nouveau sur la campagne, comme Trump. Il était parvenu à mobiliser deux électorats qui ne se déplaçaient pas ou plus aux urnes : les jeunes et les blancs non-diplômés de la Rust Belt. Au cours de sa campagne 2020, Sanders a jugé plus utile de se concentrer sur l’électorat jeune en pariant que celui-ci se mobiliserait encore plus qu’en 2016, délaissant momentanément le second électorat, le pensant acquis à sa cause. Par ailleurs, Sanders a travaillé à améliorer son image auprès de l’électorat des minorités, en particulier des hispaniques, qui ne l’avaient pas suffisamment soutenu face à Clinton la primaire précédente. Ce travail a porté ses fruits dans les sondages et les urnes en partie. Si l’on se fie aux enquêtes de Morning Consult, Sanders est plus que jamais le candidat des Millennials avec 72% des voix auprès des moins de 22 ans et plus de 60% des voix pour les électeurs de moins de 40 ans. En ce qui concerne les hispaniques, le rapport s’est totalement inversé par rapport à 2016 et Sanders réunit plus de 55% des voix de cette minorité.



Malheureusement pour Bernie, d’autres chiffres ont expliqué les déconvenues du Super Tuesday qui étaient déjà visibles dans les états appelés aux urnes en février : les Millennials ont beaucoup moins voté qu’en 2016. Très présents dans les meetings, favorables aux réformes de santé et de l’éducation, ces derniers n’ont pourtant pas été soutenir leur candidat cette fois-ci. Sanders souffre peut-être ici de la perte de l’effet de nouveauté et aussi de son âge plus avancé. Par ailleurs, la concurrence de Warren a aussi divisé quelque peu cet électorat dans certains états clés.
L’électorat hispanique s’est, au contraire, mobilisé correctement en particulier dans l’Ouest, au Nevada, dans le Colorado, la Californie ou l’Utah. Sanders a même été tout proche de remporter le Texas plus conservateur. Alors d’où vient la déconvenue de Sanders lors du Super Tuesday ?
Plus que la faible mobilisation des millennials, Sanders a perdu l’électorat pivot des états de la Rust Belt : l’électeur blanc non diplômé. 3 raisons à cela : premièrement, 3 ans de Trump et une politique protectionniste ont convaincu définitivement une partie des anciens électeurs de Bernie de ne jamais revenir dans le giron démocrate : pour eux, il était dur de faire quelque chose même si le discours de sécurité social aurait pu tourner à l’avantage de Sanders lors de l’élection générale. Une autre partie d’entre eux, les plus âgés, ont été rassurés par le discours de Biden et sa modération. Ils sont déçus du mandat Trump et nostalgiques d’Obama, Sanders leur propose un discours trop virulent cette fois-ci. Enfin, Sanders a démobilisé le dernier tiers restant en tenant un discours indigéniste qu’il ne tenait pas en 2016 : en parlant d’économie raciste pour les minorités et en cédant aux sirènes du progressisme à la sauce californienne, Bernie Sanders s’est embourgeoisé et a perdu la partie populaire de son électorat. Oui Sanders déchaîne toujours les passions mais pas auprès des électeurs qui votent et qui sont clés dans les Swing States de la Rust Belt. Cet échec devrait se confirmer dès aujourd’hui dans le Michigan, état considéré à tort comme acquis par les équipes de Sanders…
Les prochains rendez-vous de mars : y a-t-il encore un espoir pour Sanders ?
14 états se prononcent d’ici la fin du mois de mars, soit presque autant que lors du Super Tuesday. Pourtant, les états en jeu seront souvent situés au Sud des Etats-Unis avec des majorités blanches âgées ou avec une forte communauté noire, soit le coeur de l’électorat de Biden. Par ailleurs, ce dernier profite à plein de l’effet de sa victoire dans le Super Tuesday dans les sondages nationaux et par Etat. Il a environ plus de 10 points d’avance dans les sondages, ce qui représente assez bien le ratio entre modérés et progressistes au sein du parti démocrate.

Pour autant, Bernie peut légitimement fonder des espoirs dans le vote du 10 mars où 6 états doivent se prononcer. En effet, en 2016, il était parvenu à remporter 4 de ces états dont le Michigan. Il s’agissait d’ailleurs de l’état le plus gros remporté par Crazy Bernie face à Hillary et avait entretenu son mouvement jusqu’à la fin des primaires. Ce pourrait être, ironiquement, le lieu de son échec définitif ce soir. Effectivement, les sondages de mars le voient à plus de 20 points de Biden dans cet état. Il est même battu dans tous les états prévus ce mardi. Si ces chiffres se confirment, les chances de Sanders seront quasi-réduites à néant.

En ce qui concerne les votes du 17 mars, si les sondages disent vrais encore une fois alors on pourrait assister à un véritable carnage et à la fin définitive des espoirs de Sanders, en particulier à cause d’un état : la Floride. En se mettant à dos la communauté cubaine, Sanders ne pourra pas profiter de son avantage sur Biden dans la communauté hispanique dans cet état. Sa dernière chance de renverser la tendance se trouve peut-être dans le débat prévu en Arizona le 15 mars. Si Sanders parvient à rassurer sur ses chances de victoire face à Trump et à instiguer le doute sur la santé de Biden (mais peut-il jouer cette fibre, lui le cardiaque de 78 ans ?) alors il peut éventuellement renverser la tendance (ou atténuer sa défaite et poursuivre un peu plus longtemps le combat). Il faudra toutefois faire bonne figure dès le vote du 10 mars pour espérer un ultime renversement dans cette campagne de primaires démocrates.

Mes pronostics pour ce soir
- Democrats Abroad : Victoire de Sanders
- Idaho : Biden
- Michigan : Biden
- Mississippi : Biden
- Missouri : Biden
- North Dakota : Sanders
- Washington : Sanders
- Biden devrait profiter de l’effet du Super Tuesday pour remporter la majorité des états en jeu ce soir. Si les sondages prédisent un grand chelem de Biden ce soir, je pense tout de même que Sanders parviendra à sauver 1 ou 2 états (en particulier celui de Washington). Toutefois, tous les regards seront tournés vers le Michigan, Swing State très important pour les démocrates et plus grand état remporté par Bernie lors de la primaire de 2016. Si la défaite est sévère là-bas pour lui alors il ne restera quasiment plus aucun espoir de remontée face au vice-président.
- Gabbard et Sanders n’abandonneront pas mais pour le second, plus la défaite sera sévère ce soir (et mardi prochain) et plus son maintien ressemblera à de l’acharnement thérapeutique.
