Route 270 : Le Nouveau-Mexique (4/20)

Chaque semaine, je publierai un article sur les états clés qui permettront à l’un des 2 candidats, Biden ou Trump, d’atteindre la barre fatidique des 270 grands électeurs, synonyme d’élection. Quatrième chapitre du dossier Route 270 aujourd’hui, avec un focus sur l’Etat du Nouveau-Mexique, un état où 5 grands électeurs seront en jeu en Novembre prochain. Très disputé au début des années 2000, le Nouveau-Mexique penche désormais du côté démocrate au point qu’il pourrait sortir de la liste des Swing States au cours de la décennie 2020. Lieu de tournage de la célèbre série Breaking Bad, souvent considérée comme la meilleure du 21ème siècle, voyons ensemble si les électeurs du Nouveau-Mexique, cru 2020, seront à nouveau conquis par la meth’ bleue démocrate concoctée par Mister Biden ou s’ils se rangeront derrière les « redpill » envoyées par Donald Trump.

QUELQUES CHIFFRES DU Nouveau-Mexique

  • Population : 2 096 829 habitants
  • Capitale : Santa Fe
  • Plus grande ville : Albuquerque
  • Répartition démographique : 49% hispaniques, 37% blancs, 11% natifs américains, 2% noirs
  • Nombre de grands électeurs : 5
  • Représentation locale : 1 gouverneur, 2 sénateurs et 3 représentants démocrates
  • De quel côté ça penche sur les 5 dernières élections ? : Démocrates 4 – Républicains 1
  • Résultats 2016 : Clinton 48,3% Trump 40%
  • Deux séries du Nouveau-Mexique à voir (pour se mettre dans l’ambiance) : Breaking Bad et son spin-off Better Call Saul

HISTOIRE DU Nouveau-Mexique

Si les traces d’une présence humaine dans la région remontent à plus de 10 000 ans avant notre ère, les principales civilisations amérindiennes qui marquèrent l’Etat du Nouveau-Mexique furent plutôt tardives : Pueblos, peuple sédentaire d’agriculteurs et d’éleveurs, Apaches et Navajos, peuples nomades. Ces 3 populations s’affrontèrent pour le contrôle de ce territoire jusqu’à l’arrivée des Européens au XVIème siècle. Ce sont les espagnols qui arrivent dans la région en premier aux alentours de 1540, persuadés de trouver les sept cités de Cibola ou autrement appelées les sept cités d’or. Ne trouvant rien sur place, l’expédition terriblement déçue se vengea en massacrant différents villages Pueblos de la région. Cependant, les Pueblos et les Apaches finirent par vaincre les espagnols qui abandonnèrent le Nouveau-Mexique pour le reste du siècle, laissant derrière eux leurs chevaux qui furent apprivoisés par les indiens, qui n’en avaient pas jusque là. C’est l’une des seules défaites européennes enregistrées face à des natifs durant cette période.

Les Espagnols refont leur apparition en 1598 et mettent 10 ans à s’installer au Nouveau-Mexique, aride et peu accueillant. Les Pueblos sont cette fois-ci massacrés et réduits en esclavage. La ville de Santa Fé est fondée en 1610 et les franciscains tentent en vain de convertir les indiens survivants au christianisme. Mais, le climat difficile et les mauvaises récoltes combinés aux vagues d’épidémie de variole provoquent une nouvelle révolte des Pueblos en 1680 extrêmement violente (plus de 1 000 morts européens). Cette nouvelle révolte oblige les espagnols à abandonner le Nouveau-Mexique pendant plus de 10 ans, mais leur expédition militaire de 1691/1692 est un nouveau succès, les peuples indigènes étant incapables de s’unir à nouveau contre l’ennemi. Les Pueblos, résistants émérites, ne se révolteront plus après cela et préféreront coopérer avec les espagnols pour repousser les raids Apaches au cours des décennies suivantes.

Au cours du XVIIIème siècle, l’influence de l’Espagne dans la région se réduit. Peu riches en ressources (quelques mines d’argent), le Nouveau-Mexique est le théâtre de nombreux raids d’une nouvelle tribu nomade, les Comanches, soutenus par les voisins français de Louisiane. L’absence d’une présence importante des espagnols va favoriser un métissage large entre les populations amérindiennes et européennes. Les hiérarchies sont bouleversées et l’agriculture et l’élevage traditionnel deviennent les fers de lance de l’économie du Nouveau Mexique. La colonie espagnole vivotera ainsi jusqu’à l’indépendance du Mexique en 1821. Le Nouveau-Mexique ne devient américain qu’à la suite de la Guerre Mexique/Etats-Unis de 1846/1848 qui voit le Mexique rétrocéder également la Californie et le Texas.

De 1848 à 1912, le Nouveau-Mexique est juridiquement un territoire des Etats-Unis. La région est une zone de conflits majeure pendant la guerre de sécession. Les 2 camps confédérés et unionistes y trouveront des appuis et personne n’y prendra réellement le dessus. Dès cette époque, la majorité de la population est hispanique et fortement implantée dans la vie politique et les blancs anglo-américains doivent composer avec cette présence. Ce n’est qu’en 1912 que le Nouveau-Mexique deviendra le 47ème état de l’Union.

Le XXème siècle marque également le décollage industriel de l’Etat avec la découverte de réserves de pétrole à partir de 1928. En outre, c’est à Los Alamos que furent imaginées et construites les premières bombes atomiques qui permirent de mettre fin à la seconde guerre mondiale. Suite à cette guerre, les natifs américains parviennent à obtenir le droit de vote et sont autorisés par l’Etat fédéral à établir des casinos dans la région. Aujourd’hui, l’économie du Nouveau-Mexique repose sur l’industrie des câblages électriques, les recherches scientifiques et militaires et les casinos indiens. De nombreux call centers ont également vu le jour dans la région au début des années 2000.

Le Nouveau-Mexique ça Swing !

Bien que l’Etat soit aux mains des démocrates à tous les postes (chambre des représentants, sénat et poste de gouverneur), le Nouveau-Mexique est un état spécialisé dans la bascule partout. En effet, même si les hispaniques représentent près de 50% de la population, celle-ci a ancré son histoire dans ce territoire. De ce fait, les républicains ont une popularité équivalente à celle des démocrates au sein de cette communauté. Comme évoqué dans mon dernier article sur les primaires démocrates, le gouverneur de l’Etat Michelle Lujan Grisham est l’une des favorites pour le poste de vice présidente. Provenant de la communauté latino, elle pourrait aider grandement Joe Biden à augmenter sa popularité au sein des hispaniques.

L’Etat du Nouveau Mexique est représentatif de l’évolution démographique du pays. Si l’état a toujours été métissé et très hispanique, les vagues d’immigration successives depuis les années 80 en provenance du Mexique ont remodelé la démographie de l’Etat et changé les rapports de force politique. Plutôt solidement républicain, le Nouveau-Mexique vote démocrate sans interruption depuis 2008 et de plus en plus nettement. Les républicains conservent une chance dans l’état dans les zones rurales, suburbaines, comme partout dans le pays, mais ils sont aussi très populaires dans les communautés latino qui sont très conservatrices et anti-immigration mexicaine. Le discours protectionniste de Trump a porté dans cet état en 2016 mais la victoire de Clinton y a pourtant été nette.

La première raison de cet échec est à mettre au crédit du parti libertarien, particulièrement fort dans cet état. En 2012 et 2016, le candidat était Gary Johnson, enfant du pays et ancien membre du parti républicain. En réalisant 9% dans cet état en 2016, celui-ci a certainement empêché un résultat plus serré entre les 2 candidats. Il ne sera pas le candidat libertarien cette fois-ci. Toutefois, les vagues migratoires successives et la grande popularité du gouverneur démocrate actuel réduisent les chances de Trump de parvenir à faire de cet état une zone de combat réaliste dans la course aux grands électeurs. Seul espoir pour Donald : le choix d’un vice président non latino ou non progressiste par Biden pour l’accompagner sur le ticket. En effet, Joe Biden est trop associé à la communauté afro-américaine et ne parvient pas, d’une part, à séduire les latinos modérés, comme parvenait à le faire Hillary Clinton en 2016 ni, d’autre part, à convaincre la nouvelle génération de progressistes latinos, fanatiques supporters de Sanders au cours de la primaire, et peu amène à se déplacer pour un candidat mou comme Biden. Sur le papier, le match pourrait donc encore être serré en 2020 mais pas sûr qu’un candidat clivant comme Trump soit capable de renverser la tendance en quelques semaines.

Le comté à suivre : Valencia

Petite anecdote tout de même, le comté de Valencia est ce qu’on appelle un comté indicateur de tendance ou « Great Bellwether » en anglais qu’il faudra bien regarder le soir de l’élection. En effet, ce comté composé à 61% d’hispaniques vote, depuis 1952, comme le pays, c’est-à-dire pour le futur président. Aucun autre comté ne peut se targuer d’une telle fidélité au vainqueur aux Etats-Unis. En 2018, les démocrates y ont emporté les élections de mid-term mais ce fut le seul comté où les républicains ne furent pas loin de l’emporter. Pour qui penchera donc le comté de Valencia en 2020 ?

3 SCÉNARIOS POUR UNE ÉLECTION

Chaque semaine, je me permettrai un petit pronostic dans l’état clé que je présente. A mi-juillet, j’imagine 3 scénarios d’élection pour Novembre : une élection serrée au national avec une victoire finale de Trump, une élection serrée au national avec une victoire finale de Biden et une élection sanction avec victoire large de Biden. J’écarte le scénario d’une victoire large de Trump qui me parait, du fait de la personnalité clivante de Trump, peu probable. Comme en 2016, j’ai du mal à croire à une victoire tout aussi large de Biden du fait de l’extrême polarité des 2 camps mais comme les sondages nous prédisent pour l’instant ce scénario, je dois sérieusement l’envisager. Voilà ce que ces 3 scénarios impliqueraient pour l’état du Nouveau-Mexique :

Scénario 1 : Trump gagne une élection serrée

Dans ce cas de figure, je pense que l’élection sera extrêmement serrée dans l’Etat du Nouveau-Mexique. Trump pourrait réduire l’écart à moins de 5 points avec Biden et faire un bon score au sein de la communauté Latino. Cependant, la démographie le désavantage particulièrement dans cet état et je ne le vois pas l’emporter ici.

Scénario 2 : Biden gagne une élection serrée

Pour ce scénario-ci, Biden devrait l’emporter dans les mêmes proportions qu’Hillary Clinton sauf s’il a eu l’intelligence de choisir le gouverneur Grisham pour mobiliser l’électorat latino en sa faveur. Il peut espérer l’emporter avec plus de 10 points d’écart dans ce scénario.

Scénario 3 : Biden l’emporte largement

Dans ce cas-là, il n’y aura pas match avec Trump. Le Nouveau-Mexique pourrait perdre son statut d’état clé et passer durablement au bleu. Le Mur de Trump n’aura pas eu l’effet escompté auprès des électeurs.

Mon Pronostic : Victoire de Biden dans les proportions de Clinton voire plus s’il choisit un VP Latino (et se décide à faire campagne ?)