Chaque semaine, je publierai un article sur les états clés qui permettront à l’un des 2 candidats, Biden ou Trump, d’atteindre la barre fatidique des 270 grands électeurs, synonyme d’élection. Neuvième chapitre du dossier Route 270 aujourd’hui, avec un focus sur le deuxième état le plus peuplé des USA (et peut-être le plus emblématique), j’ai nommé le Texas. Etat associé à l’image du mythique « cow-boy », le Texas est aujourd’hui traversé de profonds mouvements du fait du dynamisme de son économie mais aussi de l’immigration latino… Etat fidèle aux démocrates sous la ségrégation, le Texas est devenu une place forte républicaine imprenable depuis les années 1980. Pourtant, l’évolution démographique donne des espoirs au parti démocrate… Encore très conservateur, le Texas semble à la croisée des chemins en 2020. Vainqueur avec 9 points d’avance sur Clinton en 2016, Donald Trump pourrait être obligé d’y faire campagne cette fois-ci pour préserver ces 38 grands électeurs, totalement indispensables à sa réélection. A défaut de « swinguer », la campagne pourrait être aussi mouvementée qu’un bon rodéo, accueillons donc comme il se doit cet état mastodonte dans l’arène des Swing States.

QUELQUES CHIFFRES Du texas

• Population : 28 995 881 habitants
• Capitale : Austin
• Plus grande ville : Houston
• Répartition démographique : 42% blancs, 40% hispaniques, 12% noirs, 4% asiatiques
• Nombre de grands électeurs : 38
• Représentation locale : 1 gouverneur, 2 sénateurs et 23 représentants républicains; 13 représentants démocrates
• De quel côté ça penche sur les 5 dernières élections ? : Démocrates 0 – Républicains 5
• Résultats 2016 : Trump 52,2% Clinton 43,2%
• Une musique pour se mettre dans l’ambiance : El Paso de Marty Robbins https://www.youtube.com/watch?v=-zBzZJd-nfw

HISTOIRE DU TEXAS

Avant l’arrivée des européens au XVIème siècle, de nombreuses tribus amérindiennes peuplent le territoire immense du Texas et c’est à l’une de ces tribus, les Caddo, que l’on doit le nom de l’Etat, « Tejas » signifiant « ami » ou « allié ». Les premiers explorateurs européens arrivent en 1519 et sont espagnols, mandatés par le gouverneur de Jamaïque de trouver une route dans le Golfe du Mexique vers l’Asie. Toutefois, c’est l’explorateur français Cavelier de la Salle qui crée la première colonie européenne en 1684. Il fait une erreur de navigation et pense se trouver près de la rivière Mississippi. Il fonde Fort Louis qui sera démantelé par les espagnols dès 1689. A la suite de ce succès en 1690, les espagnols se décident enfin à implanter une colonie au Texas. Cette tentative se solde pourtant par un immense échec, les natifs américains rejetant violemment les missionnaires catholiques. Le Texas est abandonné 20 ans de plus et ce n’est qu’en 1711, sous la menace croissante des français installés en Louisiane que les autorités espagnoles parviennent enfin à coloniser de manière pérenne la région. La ville de San Antonio est fondée par les colons espagnols en 1718. Les espagnols, en sous nombre, font face à des tribus amérindiennes apaches belliqueuses et ne parviennent à un semblant de paix qu’en 1749, sans parvenir à étendre leur emprise sur le territoire. Une fois débarrassés de la menace française à l’Est en 1762, les colons se concentrent sur le développement de San Antonio et parviennent à obtenir la paix avec les amérindiens en 1785, désormais largement christianisés. En 1802, l’Espagne rend la Louisiane à la France qui la vend 1 an plus tard aux Etats-Unis. S’en suivent 15 années de tensions entre les 2 états, les frontières n’étant pas formellement tracées. Les espagnols finissent par signer un traité en 1819 avec les Etats-Unis. Ces derniers renoncent à annexer le Texas et récupèrent la Floride en échange. Le gouvernement espagnol gagne du temps, plus préoccupé par les velléités d’indépendance des mexicains, qui l’obtiennent en 1821. Le Texas devient alors une province du Mexique.

Le Mexique encourage l’immigration dans cette région du Texas, encore majoritairement peuplée d’amérindiens. Le gouvernement mexicain autorise l’installation d’anglo-américains au Texas et ceux-ci sont déjà 30 000 en 1834 contre seulement 8 000 mexicains et encore 20 000 comanches à l’ouest de l’Etat. Avec les colons américains, plus de 5 000 esclaves s’installent également au Texas, qui n’autorise pourtant pas la pratique de l’esclavage sur son territoire. Les différences culturelles et les envies de fédéralisme des texans se percutent avec le centralisme hispanique des mexicains et le conflit devient inévitable à partir de 1835. Les Texans se révoltent et remportent la guerre contre l’état mexicain en 1836. La république du Texas proclame alors son indépendance. En 1839, Austin devient la capitale de la république et l’immigration nord-américaine se poursuit avec ferveur. Deux factions s’opposent alors : ceux qui souhaitent se maintenir à l’écart des 2 grandes puissances Mexique et Etats-Unis et ceux qui veulent rejoindre les Etats-Unis. Cependant le Mexique, qui n’a pas reconnu l’indépendance du Texas, va précipiter le destin de ce jeune état. En effet, dès 1842, l’armée mexicaine attaque et pille San Antonio et les raids se poursuivent pendant 3 ans. En 1845, les Etats-Unis votent l’annexion de la république du Texas ce qui déclenche la guerre Mexique/Etats-Unis. Cette guerre s’achève en 1848 par la victoire éclatante des américains qui font du Texas le 28ème état de l’Union.

L’immigration s’intensifie alors dans la région avec l’arrivée de plus de 150 000 migrants en 10 ans dont de nombreux américains mais aussi allemands ou tchèques. L’esclavage est inscrit dans la constitution de l’Etat et des afro-américains et des hispaniques émigrent dans la région pour travailler dans les champs de coton. Les esclaves représentent 30% de la population en 1861, date à laquelle la guerre de sécession éclate. Le Texas prend logiquement parti pour les Confédérés et quelques batailles ont lieu sur le sol texan dont la dernière du conflit, en 1865 qui marque la défaite des Confédérés. Le gouvernement texan est forcé d’abandonner l’esclavage et les noirs sont libérés. Une décennie de reconstruction économique et de relative égalité raciale succède alors à la guerre. Les afro-américains contrôlent le parti républicain, tandis que les ex-confédérés du parti démocrate sont amnistiés par les autorités en échange de leur loyauté à l’Etat fédéral. Toutefois, en 1876, le parti démocrate reprend le contrôle de l’Etat et fait passer des lois qui donnent un statut de citoyens de seconde zone aux noirs tandis que les blancs du parti républicain excluent leurs collègues afro-américains des responsabilités.

De 1870 au début du XXème siècle, la reconstruction du Texas passe par l’agriculture avec l’exploitation des champs de coton qui se poursuit ainsi que le développement des ranchs et des fermes. L’exploitation de bois devient également une industrie importante à cette époque. Les migrations s’accélèrent avec la construction de chemins de fer et la création de nouvelles villes dynamiques permettent d’accueillir cette nouvelle main d’oeuvre blanche. En 1901, c’est la révolution du pétrole qui s’enclenche avec le premier forage pétrolier de grande ampleur au Texas. Dès lors, le forage intensif de pétrole, ce qu’on appellera le « oil boom », est le moteur principal de l’économie texane. Houston devient le 1er port commercial américain tandis que Dallas, qui construit les premiers gratte-ciel à l’Ouest de New York, attire les compagnies d’assurance et les grandes banques. La prospérité du Texas est tout de même freinée par la Grande Dépression de 1929, très rude pour les agriculteurs et les compagnies pétrolières puis par la Seconde Guerre Mondiale où le Texas paie un lourd tribut humain. Sur le plan politique, les démocrates dominent l’Etat pendant plus de 60 ans grâce à une loi de 1901, jugée inconstitutionnelle 20 ans plus tard, qui exclut du vote les personnes ne payant pas suffisamment d’impôts. Les blancs pauvres et les noirs, électeurs républicains se retrouvent dès lors empêchés de voter et il faudra attendre les années 60 pour mettre fin à ces pratiques ségrégationnistes. Après la guerre, l’activité économique autour du pétrole reprend son essor et l’Etat s’industrialise et s’urbanise. L’économie se diversifie dans les années 70/80, le Texas devenant le fer de lance des Etats de la « Sun Belt ». Politiquement, Dallas marque l’histoire américaine en étant le théâtre du dernier assassinat d’un président en exercice, le 22 novembre 1963, celui de JF Kennedy. Avec l’évolution démographique, le parti démocrate perd en influence dans les années 60 lorsqu’il abandonne sa ligne ségrégationniste pour une ligne très libérale (de gauche). Dès lors, le parti Républicain, plus en phase avec les desiderata de l’électeur texan conservateur et pro-business, devient le parti dominant de la politique locale et les texans sont fidèles aux républicains aux présidentielles depuis 1980 et l’élection de Reagan.

Depuis les années 80, la population du Texas évolue sous l’effet d’une immigration hispanique soutenue, principalement mexicaine, et le 2ème état américain en termes d’habitants devraient passer à majorité hispanique au cours de la décennie 2020, puisque les hispaniques représentent aujourd’hui 40% de la population contre 42% qui est blanche. L’économie du Texas dispose du 2ème plus gros PIB des Etats-Unis après la Californie. S’il était encore indépendant, son économie serait la 10ème au monde (devant le Canada). L’économie de l’Etat repose aujourd’hui sur différents secteurs :

• l’agriculture : le Texas est au premier rang national pour le nombre et la taille des exploitations agricoles. Leader pour la culture et la production de coton, le Texas profite de la diversité des climats pour cultiver différentes plantes (blé, riz, canne à sucre, pastèque, pamplemousse) et pratiquer l’élevage intensif d’ovin et bovin

• l’aéronautique : la NASA est établie depuis 1962 à Houston et est le centre de contrôle des vols habités ainsi que le centre d’entraînement des astronautes. L’aéroport de Dallas est, par ailleurs, le 2ème du pays en termes de trafic.
• l’activité portuaire : le port de Houston est aujourd’hui le 6ème port mondial et le plus important du pays. Pétrole, énergie, bois, production agricole, tout passe par Houston.
• la défense : le complexe militaro-industriel est représenté à la base militaire aérienne de San Antonio. Du fait des nombreux contrats signés (en particulier avec Boeing), il s’agit d’un des principaux pourvoyeurs d’emplois industriels dans l’Etat.
• l’informatique et les nouvelles technologies : les industries de pointe se concentrent dans les métropoles dans les technopoles, Austin est la nouvelle Silicon Valley et de nombreuses entreprises et entrepreneurs de Californie s’installent au Texas, plus champêtre. Aujourd’hui plus de 600 entreprises spécialisées dans les technologies de l’information et de la communication se trouvent au Texas. Parmi les plus célèbres, Dell, Texas Instruments, AT&T ou bien Electronic Data Systems ont leur siège social dans cet Etat.
• l’énergie : le Texas est dominé par dominée par la transformation des hydrocarbures avec la présence du quart des raffineries du pays (26) sur son sol. Près de 5 millions de barils sont raffinés chaque jour et expédiés depuis le port de Houston. Depuis quelques années, les usines de fabrication de biocarburants se multiplient, approvisionnées par la riche agriculture de l’État. Le Texas est même l’état en tête en ce qui concerne les énergies alternatives (solaire, éolien, nucléaire).
• le tourisme : le slogan de l’état parle de lui-même « it’s like a whole other country ». Effectivement, les touristes sont attirés par la culture hispanique d’El Paso ou San Antonio, mais aussi par le folklore lié au Western vers Fort Worth.

• la santé : le Texas est l’état américain présentant le plus grand nombre de citoyens non couverts par une assurance-maladie et le domaine de la santé est un secteur dynamique. Le Texas Medical Center est le plus grand centre médical au monde et emploie plus de 30 000 personnes.

LE TEXAS ÇA SWING !

Le Texas n’était plus un Swing State depuis 1984. Solidement républicain sous l’ère Bush et très conservateur, le Texas ne s’est pourtant pas offert à Trump en 2016, celui-ci gagnant avec 9 points d’avance. En 2020, comme en 2016 d’ailleurs, les sondages envisagent une élection qui pourrait se jouer à 2/3 points près. En effet, en 2018 lors des mid-term, l’élection sénatoriale qui a opposé Ted Cruz (adversaire de Trump lors de la primaire de 2016) au démocrate Beto O’Rourke a failli tourner à l’avantage des démocrates. Depuis plusieurs années, l’immigration latino est forte ici et celle-ci avantage plutôt les candidats démocrates. En 2016, c’est cet électorat que Clinton avait réussi à mobiliser pour atteindre 43% des voix. En 2018, c’est cet électorat qui a sauvé Ted Cruz. Son challenger démocrate avait quant à lui performé dans les zones périurbaines et auprès d’une immigration blanche aisée en provenance de la Silicon Valley californienne.

A quoi peut-on donc s’attendre en 2020 ? Tout d’abord, Trump est désavantagé par les événements liés à la crise du coronavirus. Totalement épargné au printemps, le Texas subit la vague de coronavirus depuis mi-juin au moment où Trump annonçait la fin de la crise. Les texans vivant dans l’état le moins bien couvert en termes d’assurance maladie, de nombreuses personnes ont été touchées et ont succombé au cours de cet été. Plus de 11 000 décès pour 600 000 cas identifiés, le Texas est l’un des états qui subit le plus de pertes actuellement. A n’en pas douter, si la vague ne s’atténue pas d’ici fin septembre, l’électeur blanc de plus de 65 ans en fera peut-être payer le prix à Trump, celui-ci restant pour l’instant très timide sur ces propositions de réforme pour le système de santé au contraire de Biden.

Toutefois, Trump a des atouts pour conserver l’Etat et peut-être même augmenter son avance cette année. Les texans font confiance au président pour relever l’économie du pays (qui se relève déjà en termes de création d’emplois) et aiment son énergie pro-business. Le Texas a, en outre, profité de la réforme de l’ALENA pour renforcer ses positions en termes d’exportations de matières premières vers le Mexique. Enfin, le discours patriotique et protectionniste plait à l’électeur conservateur blanc qui sera minoritaire au cours de la décennie, surpassé par les latinos, et s’inquiète d’un « Grand Remplacement », mais aussi de plus en plus populaire auprès de l’électeur latino très conservateur et ne supporte pas les penchants progressistes de la gauche américaine. Une majorité d’électeurs, latino et blancs compris, soutient la construction du mur de Trump, toujours inachevé. En conséquence, Trump devrait encore solidement tenir le Texas en 2020, mais une victoire étriquée serait un très très mauvais signe pour lui.

3 SCÉNARIOS POUR UNE ÉLECTION

Chaque semaine, je me permettrai un petit pronostic dans l’état clé que je présente. A mi-juillet, j’imagine 3 scénarios d’élection pour Novembre : une élection serrée au national avec une victoire finale de Trump, une élection serrée au national avec une victoire finale de Biden et une élection sanction avec victoire large de Biden. J’écarte le scénario d’une victoire large de Trump qui me parait, du fait de la personnalité clivante de Trump, peu probable. Comme en 2016, j’ai du mal à croire à une victoire tout aussi large de Biden du fait de l’extrême polarité des 2 camps mais comme les sondages nous prédisent pour l’instant ce scénario, je dois sérieusement l’envisager. Voilà ce que ces 3 scénarios impliqueraient pour l’état du Texas :

Scénario 1 : Trump gagne une élection serrée

Dans ce cas de figure, je vois Trump l’emporter avec 7 à 10 points d’avance, comme en 2016. Trump aura réussi à convaincre plus d’électeurs latinos tout en conservant les voix des blancs de plus de 65 ans.

Scénario 2 : Biden gagne une élection serrée

Pour ce scénario-ci, Trump devrait l’emporter certainement avec environ 5 points d’avance. On devrait observer un effritement des voix auprès des latinos et des électeurs blancs modérés des zones périurbaines dans la continuité de ce que l’on a pu observer aux Midterm de 2018.

Scénario 3 : Biden l’emporte largement

Si Biden l’emporte largement, le Texas pourrait être extrêmement disputé. Toutefois, je vois Trump l’emporter de 2/3 points même dans ce cas de figure. Il s’agirait déjà d’une énorme déconvenue pour le président sortant. Dans ce scénario, on peut imaginer qu’une partie des électeurs âgés blancs de plus de 65 ans sanctionneraient la gestion hasardeuse de la crise du coronavirus par le président combinée à une mobilisation des latino pour Biden.

Mon Pronostic : Victoire de Trump avec 5 à 10 points d’avance.