Route 270 : Le Minnesota (15/20)

Chaque semaine, je publierai un article sur les états clés qui permettront à l’un des 2 candidats, Biden ou Trump, d’atteindre la barre fatidique des 270 grands électeurs, synonyme d’élection. Quinzième chapitre du dossier Route 270 aujourd’hui, avec un focus sur l’Etat du Minnesota et ses 10 grands électeurs en jeu en 2020. Le Minnesota est fidèle aux démocrates depuis 1972 mais Trump est passé tout près de la victoire en 2016 (défaite de 1,5 point). Cette année, le Minnesota a fait la une avec la mort de George Floyd et les événements qui ont suivi. Les manifestations ont d’abord servi la campagne de Biden mais, de plus en plus violentes, elles effraient aujourd’hui un électorat modéré, plus séduit par le discours sécuritaire d’un Trump. Le Minnesota peut-il basculer en 2020 ? Difficile à dire mais si un seul Etat doit passer du camp démocrate au camp républicain cette année, alors mettez toutes vos pièces sur le Minnesota.

Minnesota State Flag - Flagnations

QUELQUES CHIFFRES DU MINNESOTA

  • Population : 5 639 632 habitants
  • Capitale : Saint Paul
  • Plus grande ville : Minneapolis
  • Répartition démographique : 80% blancs, 6% noirs, 5% hispaniques, 5% asiatiques
  • Nombre de grands électeurs : 10
  • Représentation locale : 1 gouverneur, 2 sénateurs et 5 représentants démocrates ; 3 représentants républicains
  • De quel côté ça penche sur les 5 dernières élections ? : Démocrates 5 – Républicains 0
  • Résultats 2016 : Clinton 46,4% Trump 44,9%
  • Une personnalité : Prince, star de la Pop et du funk, est aussi le « Kid of Minneapolis » où il construira son studio d’enregistrement. Si Prince était un personnage secret, il était aussi très proche de la population locale en improvisant des concerts dans son studio au grand plaisir de ses fans. Petit condensé de tubes lors de son passage au Super Bowl de 2007, performance considérée comme la meilleure de l’histoire du Super Bowl sous la « Purple Rain » de Miami : https://www.youtube.com/watch?v=-WYYlRArn3g
Minneapolis through the eyes of Prince | CNN Travel

HISTOIRE DU MINNESOTA

Plusieurs tribus, en majorité les Sioux et les Algonquins, peuplent le Minnesota avant l’arrivée des européens au milieu du XVIIème siècle. Les natifs américains ont alors un mode de vie basé sur la chasse, la pêche et la cueillette. Vers la fin des années 1650, les français Pierre Esprit Radisson et Médard des Groseilliers sont les premiers européens à rencontrer les Dakota, une tribu Sioux, au Sud du Lac Supérieur, qui deviendra le nord du Wisconsin. La rive nord du lac est explorée la décennie suivante. C’est à peu près à cette époque qu’un nouveau groupe d’amérindiens arrive dans la région, les Ojibwa, en provenance du Maine. Habitués à marchander avec les européens, ils échangent très rapidement de la fourrure contre des armes et les tensions apparaissent avec les Dakota. En 1671, les français signent des traités commerciaux avec différentes tribus et aident à appaiser les tensions en faisant signer un traité de paix entre les 2 tribus en 1679. Les français poursuivent leur exploration de la région et construisent un fort près du Lac Pepin en 1721, le Fort Beauharnois. Après la défaite des français à la guerre de 7 ans en 1763, la région est partagée entre les anglais à l’Est et les espagnols à l’Ouest. En 1783, les Etats-Unis récupèrent la partie Est et en 1803, la Louisiane est récupérée par les français qui la revendent aux Américains. Ce n’est pourtant qu’en 1818, avec le traité anglo-américain que le territoire est définitivement reconnu comme appartenant aux Etats-Unis d’Amérique et les derniers débats territoriaux sur le traçage exact de la frontière Canado-Américains prennent fin en 1842.

Fort Snelling plans $34 million visitor center upgrade
Fort Snelling reçoit des milliers de visiteurs chaque année

La première présence de l’armée américaine sur le territoire du Minnesota intervient avec la construction du Fort Snelling de 1819 à 1825. Afin d’être auto-suffisants en nourriture, les soldats établissent les villes de Minneapolis et Saint Paul, à côté de Fort Snelling. Les américains reprennent, par ailleurs, le rôle de médiateurs des conflits entre les tribus amérindiennes. En 1849, le Minnesota devient officiellement un territoire et à partir de 1851, un traité est signé avec les natifs qui accélère le processus de colonisation du Minnesota. Une économie se construit petit à petit autour de l’exploitation forestière et les politiciens de l’Etat définissent une constitution pour obtenir rapidement le statut d’Etat. Après de nombreux débats, le Minnesota devient le 32ème état américain en 1858. L’Etat est rapidement mis à contribution en servant de base arrière militaire pour les Unionistes pendant la guerre de sécession. 22 000 soldats servent dans l’armée unioniste durant le conflit. Le Minnesota fait face à une autre crise en 1862 avec la tribu des Dakota. Cette tribu amérindienne ne dispose plus que d’un territoire de 16km avec très peu de ressources. Souffrant de la faim, les chefs de la tribu décident de s’attaquer aux villages alentours pour les forcer à fuir. Près de 400 colons sont assassinés en quelques jours ce qui oblige la milice locale et les armées fédérales à intervenir. 38 natifs sont condamnés à mort le 26 décembre 1862 et 300 autres sont envoyés en prison, où ils mourront quasiment tous de maladie. Les Dakota sont déportés dans une réserve indienne du Nebraska et un décret est signé pour interdire à ce peuple Sioux de se réinstaller dans le Minnesota à l’avenir.

Après la fin de la guerre de sécession, le Minnesota devient une région attractive qui se développe démographiquement et économiquement. La population triple entre 1870 et 1890 grâce, en partie, à l’arrivée massive d’une immigration européenne attirée par le coût de la vie peu onéreux. Des villes sont créées et le développement du système ferroviaire améliore l’activité économique locale. Celle-ci repose alors sur son agriculture moderne et une industrie centrée sur les ressources naturelles : l’eau et le fer. Les usines hydroélectriques et les mines de fer poussent alors comme des champignons jusqu’à la Grande Dépression de 1929. De nombreux emplois miniers sont détruits et le Minnesota devient, en réaction, un bastion de la gauche américaine. Les mineurs s’organisent en syndicats et parviennent à obtenir de nombreux avantages sociaux telles que la semaine de 45h ou des augmentations de salaire. La Seconde Guerre Mondiale et la mécanisation de l’industrie et de l’agriculture permettent au Minnesota de se relever de la crise et d’entrer dans l’ère moderne. Aujourd’hui l’économie du Minnesota repose sur 5 piliers :

  • Son agriculture : si elle emploie moins de 1% de la population, le Minnesota est le producteur numéro 1 de betterave, de maïs et de petits pois du pays. La plupart des dindes de Thanksgiving sont élevées dans l’Etat. C’est aussi l’un des lieux d’approvisionnement les plus importants de la compagnie américaine préférée, j’ai nommé McDonald…
Bolstering the Economic Future of Greater Minnesota
L’arrière pays agricole du Minnesota
  • Son industrie : c’est la branche malade de l’économie du Minnesota. L’exploitation forestière autour du lac Supérieur et l’exploitation de fer dans les mines restent pourtant des activités phares de l’Etat. Plus de 75% du fer américain est produit dans le Minnesota.
  • Ses services : Minneapolis et Saint Paul, comme la plupart des grandes villes américaines, croissent grâce aux activités tertiaires telles que l’automobile, le biomédical, le commerce, les banques et les assurances, principaux pourvoyeurs en emplois aujourd’hui.
Quand partir dans le Minnesota : je vous guide
Minneapolis
  • Ses nouvelles technologies : le Minnesota attire les ingénieurs et les entrepreneurs du domaine informatique. En effet, l’Etat est souvent surnommé le « Digital State » à raison : plus de 400 entreprises comme IBM, Medtronic ou MTS s’y sont installées, attirées par une politique fiscale avantageuse et par la présence d’une main d’œuvre qualifiée dans les universités de la région.
  • Ses ressources : Si le Minnesota n’a pas de pétrole en son sol, elle dispose du plus grand nombre de raffineries parmi l’ensemble des Etats non pétroliers du pays. L’Etat produit également de l’éthanol et est à la pointe dans le développement d’énergie plus propres comme le biodiesel ou l’énergie éolienne.

LE MINNESOTA ÇA SWING !

Le Minnesota est un Etat connu pour être très politisé. La « terre des 1000 lacs » se répartit en 2 zones : la zone urbaine partagée entre les 2 villes jumelles de Saint Paul et Minneapolis et le reste de l’Etat, composé d’une multitude de petites villes et de zones rurales. Auparavant terre des mineurs et des agriculteurs, le Minnesota est désormais un hub financier. Au début du XXème siècle, la zone rurale de l’Etat était très hostile au business et votait démocrate, tandis que les villes étaient républicaines. Très anti-européens et effrayés par les banquiers suite à la Grande Dépression, les habitants du Minnesota penchent très à gauche depuis les années 1930. Aujourd’hui, les syndicats ont faibli tout comme cette mouvance libérale et les partis politiques ne se partagent plus les mêmes zones géographiques. Les démocrates sont, à présent, très forts dans les villes, plus cosmopolites, tandis que les petites villes et les zones rurales penchent nettement du côté républicain.

Depuis 1972, le Minnesota vote toujours fidèlement pour le parti démocrate… il s’agissait même du seul état manquant à Reagan en 1984 (face au local du coin Mondale). Pourtant depuis l’an 2000, l’écart se resserre avec les républicains et le discours de Trump pro « working-class » a failli faire basculer l’Etat face à Clinton (défaite de moins de 2 points). Tout semble indiquer que le Minnesota va basculer tôt ou tard du côté républicain mais un peu comme la Géorgie pour les démocrates, il semble toujours manquer un petit quelque chose pour faire pencher la balance en leur faveur. Contrairement aux autres états de la Rust Belt, le discours de Trump n’avait pas totalement convaincu dans les zones périurbaines et en particulier au sein de l’électorat féminin, assez effrayé à l’idée de voter pour un gentleman comme Donald. Si Trump est aujourd’hui à la traîne dans les sondages, il apparaît pourtant en mesure de faire basculer le Minnesota cette année. Trump a réussi son pari économique en diminuant le chômage et en défendant les emplois industriels grâce au protectionnisme, il a liquidé l’ALENA, traité de libre échange entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique, qui entraînaient des délocalisations. Sa position est donc renforcée dans les zones rurales. Et un événement de l’actualité récente va peut-être lui apporter le petit plus nécessaire au basculement de l’Etat… l’affaire George Floyd.

le thème de campagne qui peut faire basculer l’état

Au début des années 1960, le sujet des droits civiques occupe les esprits. Des marches sont organisées dans tout le pays par Martin Luther King Jr. Le président Kennedy puis son successeur Lyndon B. Johnson, démocrates, s’inspirent des idées d’un sénateur du Minnesota, Humphrey, pour promulguer la loi sur les droits civiques en 1964. Humphrey est choisi comme colistier de Johnson en 1964 et devient le vice-président. En 1968, il est le candidat naturel du parti démocrate et mène une campagne pro droits civiques et soutient toutes les manifestations plus ou moins pacifiques. Face à lui, un candidat républicain très clivant tient un discours simple. Face aux violences contre les petits commerces, une seule réponse est possible : « Law and Order ». Son nom est Richard Nixon et il remportera l’élection avec 0,7% d’avance sur Humphrey. 52 ans plus tard, la campagne présidentielle fait étrangement penser à 1968 avec Trump dans le rôle de Nixon et Biden dans celui de Humphrey. En fond, la mort de George Floyd, un homme noir de Minneapolis, a choqué l’Amérique progressiste et ravivé des douleurs et des traumatismes au sein de la communauté afro-américaine. S’en sont suivis des manifestations de soutien qui se sont vite transformées en émeutes. Commerces saccagés, habitants blancs des zones périurbaines et urbaines agressés en raison de leur couleur… Aujourd’hui, la position de Biden est compliquée. Electoralement, Biden doit mobiliser son aile progressiste, seule part de son électorat motivé et enthousiaste à l’idée de voter en 2020 pour virer Trump. Biden a d’abord soutenu à 100% les manifestants Black Lives Matter sans prendre de pincettes. Cependant, Biden est un centriste qui est censé attirer les électeurs indépendants, plus modérés, vivant dans les zones périurbaines. Ceux qui sont justement visés par les saccages et les violences des manifestations. Depuis août, on observe un basculement de l’opinion publique sur ces manifestations. Les électeurs indépendants ne supportent plus les slogans anti-police et les violences ou pressions qu’ils subissent dans le quotidien. Dans les sondages de l’Etat du Minnesota, Trump semble faire une percée au sein de l’électorat urbain. Il promet de rétablir la loi et l’ordre et 52 ans après Nixon, il pourrait bien profiter du flou dans le discours démocrate pour aller chercher les quelques points qui lui manquaient en 2016. Biden a recentré son discours, au risque de décevoir son aile progressiste, très visible dans le Minnesota, mais il n’a pas su être clair et ferme lors du 1er débat présidentiel. Pas sûr que les électeurs blancs indépendants reviennent vers lui donc et s’ils sont du côté de Trump le 3 novembre, alors le Minnesota deviendra républicain pour la première fois depuis 1972 et la réélection de Nixon… le Trump des années 1960/1970 !

How the South Made Hubert Humphrey Care About Race | Essay | Zócalo Public  Square
Humphrey et Martin Luther King en 1968, quelques semaines avant l’assassinat de ce dernier

3 SCÉNARIOS POUR UNE ÉLECTION

Chaque semaine, je me permettrai un petit pronostic dans l’état clé que je présente. A mi-juillet, j’imagine 3 scénarios d’élection pour Novembre : une élection serrée au national avec une victoire finale de Trump, une élection serrée au national avec une victoire finale de Biden et une élection sanction avec victoire large de Biden. J’écarte le scénario d’une victoire large de Trump qui me parait, du fait de la personnalité clivante de Trump, peu probable. Comme en 2016, j’ai du mal à croire à une victoire tout aussi large de Biden du fait de l’extrême polarité des 2 camps mais comme les sondages nous prédisent pour l’instant ce scénario, je dois sérieusement l’envisager. Voilà ce que ces 3 scénarios impliqueraient pour l’état du Minnesota :

Scénario 1 : Trump gagne une élection serrée

Dans ce cas de figure, je pense que Trump devrait l’emporter dans le Minnesota grâce à des gains dans les zones périurbaines et urbaines en raison des violentes manifestations des dernières semaines. Ce serait un succès majeur pour les républicains qui n’ont plus remporter cet état depuis 48 ans.

Scénario 2 : Biden gagne une élection serrée

Pour ce scénario-ci, ce sera 50/50. On sera dans la marge d’erreur et Biden pourrait même perdre ici tout en devenant président. Selon les sondages actuels, Biden est plus solide dans les états du Michigan et du Wisconsin voisins qui représentent 26 Grands Electeurs, contre 10 pour le Minnesota. S’il récupère ces 2 états plus la Pennsylvanie et/ou la Floride, contre une défaite dans le Minnesota, il l’emportera.

Scénario 3 : Biden l’emporte largement

Si Biden l’emporte largement, le Minnesota ne fera pas défaut à Biden. Il devrait parvenir à mobiliser toute l’aile progressiste tout en ne perdant pas trop de terrain du côté des indépendants. Quoi qu’il en soit, Biden ne devrait pas gagner avec 10 points d’avance.

Mon Pronostic : 50/50. Biden ou Trump avec moins de 3 points d’écart dans un sens ou dans l’autre.