Chaque semaine, je publierai un article sur les états clés qui permettront à l’un des 2 candidats, Biden ou Trump, d’atteindre la barre fatidique des 270 grands électeurs, synonyme d’élection. Dix-septième chapitre du dossier Route 270 aujourd’hui, avec un focus sur l’Etat du Michigan et ses 16 grands électeurs en jeu en 2020. Gagné par Donald Trump avec seulement 11 000 voix d’avance sur Clinton en 2016, le Michigan est l’Etat idéal pour basculer d’un camp à un autre en 2020. Fief des démocrates pendant 20 ans, Joe Biden met tous les moyens pour récupérer cet état et l’a placé au centre de sa stratégie de conquête de la Maison Blanche. Du côté de Trump, le bilan économique est jugé très bon mais des promesses (sécurité sociale) n’ont pas été tenues. Il sera à nouveau le challenger ici et tout devrait se décider en fonction de l’état d’esprit avec lequel l’électeur du Michigan se présentera dans les urnes : souhaite-t-il rêver 4 ans de plus ou veut-il un président plus proche de ses préoccupations quotidiennes ?

QUELQUES CHIFFRES Du michigan

• Population : 9 883 635 habitants
• Capitale : Lansing
• Plus grande ville : Detroit
• Répartition démographique : 77% blancs, 14% noirs, 4% hispaniques, 2% asiatiques
• Nombre de grands électeurs : 16
• Représentation locale : 1 gouverneur, 2 sénateurs et 7 représentants démocrates ; 6 représentants républicains
• De quel côté ça penche sur les 5 dernières élections ? : Démocrates 4 – Républicains 1
• Résultats 2016 : Trump 47,5% Clinton 47,3%
• Une maison de disques célèbre : La Motown, créée en 1959 à Détroit par Berry Gordy, avait pour objectif de faire découvrir des chansons soul et rhythm and blues (R’n’B) au grand public blanc. Véritable usine à tubes, elle produisit de nombreux artistes de talents comme les Jackson 5/Michael Jackson, Diana Ross/The Supremes, Stevie Wonder, Lionel Richie, Bill Withers et tant d’autres… Moment de légende lors des 25 ans de la compagnie où Michael Jackson y présenta pour la première fois son fameux « moonwalk ».

HISTOIRE Du michigan

Le Michigan, qui signifie « grande eau » ou « grand lac » en ojibwé, est resté très longtemps inhabité. Ce n’est qu’à partir du XIIème/XIIIème siècle que les amérindiens s’installent dans la région. Les Algonquins et les Iroquois se partagent la zone, plus ou moins pacifiquement, pendant 3 siècles. Les premiers explorateurs européens sont les français qui parcourent le Michigan en 1620. La première colonie est fondée en 1668 à Sault Ste Marie. Vers 1680, les français créent la colonie d’Illinois au sud du Michigan et revendiquent les terres autour des Grands Lacs. Avec leurs alliés amérindiens, les français chassent les iroquois en 1701 et s’emparent du Michigan tout entier. Ils fondent la même année la ville de Détroit. A la suite de la Guerre de Sept Ans, la France cède le Canada et le Michigan aux anglais. Toutefois, les amérindiens refusent le contrôle britannique et un conflit éclate en 1763. La guerre de Pontiac, du nom du leader amérindien qui mène la révolte, dure 3 ans et se solde par un succès difficile pour les colons. Le calme à peine revenu, la révolution américaine éclate en 1776 et le Michigan est le théâtre de plusieurs batailles. En 1783 à la fin du conflit, le Michigan passe officiellement sous le contrôle des Etats-Unis d’Amérique et obtient, dans un premier temps, le statut de territoire au sein du territoire de l’Indiana avant de devenir un territoire à part entière en 1805. En 1812, les anglais envahissent le Michigan et prennent Détroit ce qui déclenche une guerre de 3 ans, finalement remportée par les américains. Les natifs américains, qui s’étaient rangés du côté anglais, sont dépossédés de leurs terres en représailles et sont déportés dans des réserves indiennes situées à l’Ouest du pays. Ils sont remplacés par de nombreux immigrés venus d’Angleterre, du Canada ou de New York (les Yankee) ce qui entraîne un accroissement rapide de la population. En 1837, c’est tout naturellement que le Michigan acquiert le statut d’Etat, le 26ème de l’Union.

Jusqu’en 1860, l’économie du Michigan repose principalement sur son agriculture et sur l’exploitation de minerais de cuivre et de fer découverts aux alentours de 1840. A la veille de la guerre de sécession, le Michigan est à l’avant-garde du combat pour l’abolition de l’esclavage et est un fief du parti républicain. L’Etat participe activement à l’effort de guerre en fournissant des milliers de soldats aux armées Unionistes sur le front. Après le conflit, l’économie locale se diversifie : exploitation forestière, industries minière et ferroviaire se développent rapidement. Au début du XXème siècle, le Michigan entame son urbanisation autour de la ville de Détroit, et devient la capitale de l’industrie automobile : General Motors, Chrysler et Ford y installent ainsi leur siège social. Le Michigan connaît, pendant cette période, un véritable âge d’or économique jusqu’à la Grande Dépression de 1929. L’industrie automobile subit alors une terrible crise et de nombreux emplois sont supprimés. En parallèle, la découverte de mines de cuivre plus faciles d’accès dans d’autres états du pays, provoque l’écroulement de ce secteur. Les républicains, qui dominaient le paysage politique du Michigan depuis 1 siècle, sont discrédités par la crise et les électeurs se tournent vers les solutions des démocrates dont le New Deal de Roosevelt qui permettent au Michigan de rester à flots. Toutefois, c’est l’entrée des Etats-Unis dans la Seconde Guerre Mondiale en 1941 qui entraîne un sursaut économique dans l’Etat. En effet, les industries du Michigan sont réquisitionnées pour produire armes et véhicules en masse. A la fin de la guerre, des familles afro-américaines en provenance des états sudistes s’installent à Détroit pour profiter du plein emploi et surtout pour fuir la ségrégation. Ils influencent particulièrement la culture et l’industrie musicale avec la création de Motown Records.

L’histoire récente du Michigan est malheureusement moins glorieuse. Avec la crise pétrolière puis la mondialisation, le secteur automobile du Michigan a périclité face à la compétition mondiale du Japon. En 2008, la crise des subprimes a achevé la ville de Detroit qui a fait faillite et l’Etat a connu des records de taux de chômage. Le Michigan a mis plusieurs années à se remettre de cette crise et le taux de chômage n’est revenu à des niveaux plus acceptables qu’au cours du mandat de Donald Trump (avant covid). En termes de PIB, le Michigan se place en 14ème position sur 50 parmi les Etats du pays. L’économie repose encore principalement sur le secteur automobile mais aussi l’alimentaire, l’aérospatial, les équipements militaires le tourisme et les nouvelles technologies. Ce dernier secteur est, d’ailleurs, le plus dynamique : il représente plus de 10% des emplois ce qui place le Michigan au 3ème rang des états qui investissent le plus dans la recherche et le développement. En comparaison, le secteur industriel emploie encore 20% des actifs.

Le michigan ÇA SWING !

Le Michigan, berceau de l’industrie automobile américaine et centre dynamique du Midwest jusque dans les années 1970, est, à présent, le centre de ce qu’on appelle la Ceinture Rouillée ou Rust Belt. Subissant de plein fouet les délocalisations, Détroit et l’Etat ne sont pas parvenus à se réinventer. Face à ces échecs répétitifs, le Michigan est naturellement devenu un swing state. Depuis 1972, l’Etat a penché 6 fois du côté républicain et 6 fois du côté démocrate. En 2016, le Michigan fut l’état le plus disputé électoralement, Trump l’emportant avec 47,5% des voix contre 47,3% pour Clinton. Si les sondages étaient assez serrés ici, la défaite avait été particulièrement douloureuse pour Clinton qui n’avait quasiment pas fait campagne dans cet état, persuadée de l’emporter haut la main. En effet, il s’agit de l’Etat de la Rust Belt le plus urbanisé et les démocrates étaient sûrs que la digue ne cèderait pas ici. Cette année, les sondages sont plus favorables aux démocrates mais Joe Biden ne fera pas la même erreur. Il quadrille le terrain et met tout en œuvre pour récupérer au moins cet Etat en 2020.

Le Michigan peut être divisé en 5 zones géographiques qui expliquent la division politique actuelle. Le Nord du Michigan est une zone majoritairement rurale et est également l’ancienne zone minière. Très longtemps, démocrate, ces vaincus de la mondialisation penchent de plus en plus nettement pour Trump et les républicains. Au Centre de l’Etat, on retrouve 3 villes : Lansing, Grand Rapids et Flint. C’est la région industrielle qui penche traditionnellement chez les Républicains. Les centres villes se détournent pourtant de Donald Trump. L’Ouest regroupe différentes zones périurbaines où tout va se jouer. En effet, en 2016, cette partie de l’Etat avait penché du côté Trump mais, lors des Mid-Term, il avait basculé chez les démocrates. Ce sont principalement les femmes qui s’étaient mobilisées contre Trump. Le Président réalise un gros travail de terrain dans cette zone pour reprendre l’avantage en 2020. La quatrième zone est la métropole de Détroit, où se concentre la plupart des voix des démocrates. Si Trump n’a aucune chance de faire basculer cette partie du Michigan en sa faveur, il espère récupérer quelques voix auprès des petits commerçants et des particuliers exaspérés par les émeutes de ces dernières semaines provoquées par la mort de George Floyd. Enfin, la zone du pouce à l’Est est une région 100% rurale et pro-Trump. Elle ne fera pas défaut au président cette année. Ainsi, si Trump ne perd pas l’Ouest de l’Etat ou s’il réduit l’écart dans la Métropole, il peut espérer rééditer l’exploit mais les démocrates, soutenus par une gouverneure démocrate très populaire, espèrent bien récupérer cet état symbolique.

LE THÈME DE CAMPAGNE QUI PEUT FAIRE BASCULER L’ETAT

En 2016, Trump avait réussi à battre Hillary Clinton grâce à son message protectionniste sur le plan économique : America first, lutte féroce contre la Chine, remise en cause de l’ALENA pour défendre les emplois industriels du Midwest. Il avait aussi promis de protéger socialement les ouvriers : démantèlement d’Obamacare pour mettre en place un système de santé plus efficace. 4 ans plus tard les électeurs du Michigan ont-ils changé d’avis sur Trump ? Sur la première partie, Trump a rempli son contrat aux yeux de ses électeurs. Les Etats-Unis se sont vigoureusement opposés à la Chine pendant le mandat du président et les accords de libre échange avec le Mexique et le Canada ont été renégociés en faveur des Etats-Unis. Le chômage avait atteint un plus bas historique en février 2020 et les délocalisations ont été limitées dans la région de Détroit. Sur le second thème, en revanche, si Donald Trump a bien cassé en partie Obamacare, il n’a rien mis à la place. Avant même la crise du coronavirus, le sujet du système de santé était au cœur des préoccupations des américains et encore plus des habitants du Michigan. Traditionnellement, le Michigan est un Etat américain où les syndicats sont très puissants. Dans les années 1930, après la Grande Dépression, les syndicats avaient obtenu des avancées sociales majeures dans le cadre du New Deal de Roosevelt : augmentation des salaires, baisse du prix de la sécurité sociale, congés payés. Donald Trump est un président qui correspond à une Amérique conquérante et gagnante, mais on imagine moins ce président venir au chevet d’entreprises malades ou auprès de gens en difficulté pour les rassurer. Il est incapable de faire preuve d’empathie auprès de l’électorat dans les moments difficiles. Au contraire, si Joe Biden est vu comme un mondialiste dont la politique a mené le Midwest à la ruine, l’ancien vice-président est aussi celui qui a aidé à sauver les emplois de General Motors et Chrysler en 2009/2010 en servant d’intermédiaire à leur fusion. Dans une période de crise économique comme celle que nous connaissons, vers qui se tourneront les électeurs ? Vers celui qui promet de repartir de l’avant comme si de rien n’était ou celui qui saura faire preuve de mesure et d’empathie ? Dans le Michigan, en 2016, les électeurs avaient besoin de rependre espoir et de se sentir à nouveau fier d’être américain. En 2020, les habitants ont retrouvé leur fierté grâce à Trump mais ont désormais besoin de plus de protection sociale et d’écoute, rôle qui sied plus à un Joe Biden selon moi. Les électeurs ne voient pas plus négativement Trump qu’en 2016 mais il n’apparaît peut-être plus comme l’homme de cette nouvelle situation.

3 SCÉNARIOS POUR UNE ÉLECTION

Chaque semaine, je me permettrai un petit pronostic dans l’état clé que je présente. A mi-juillet, j’imagine 3 scénarios d’élection pour Novembre : une élection serrée au national avec une victoire finale de Trump, une élection serrée au national avec une victoire finale de Biden et une élection sanction avec victoire large de Biden. J’écarte le scénario d’une victoire large de Trump qui me parait, du fait de la personnalité clivante de Trump, peu probable. Comme en 2016, j’ai du mal à croire à une victoire tout aussi large de Biden du fait de l’extrême polarité des 2 camps mais comme les sondages nous prédisent pour l’instant ce scénario, je dois sérieusement l’envisager. Voilà ce que ces 3 scénarios impliqueraient pour l’état du Michigan :

Scénario 1 : Trump gagne une élection serrée

Dans ce cas de figure, je pense que Trump devrait soit l’emporter à l’arrachée comme en 2016 soit perdre de justesse. Trump peut gagner l’élection sans le Michigan. S’il l’emporte, Trump aura réussi à convaincre une partie plus importante de l’électorat noir à voter pour lui et il pourrait avoir profité des émeutes liées à Black Lives Matter.

Scénario 2 : Biden gagne une élection serrée

Pour ce scénario-ci, Biden devrait l’emporter avec 2 à 5 points d’avance sur Trump. On peut imaginer que le souvenir de l’intervention énergique de Biden dans le sauvetage de Chrysler et General Motors en 2009/2010, lorsqu’il était vice-président, fera revenir au bercail certains anciens électeurs démocrates qui avaient voté Trump en 2016.

Scénario 3 : Biden l’emporte largement

Si Biden l’emporte largement, le Michigan devrait être remporté aisément. J’imagine 5 à 8 points d’avance pour Joe Biden qui aurait réussi à mobiliser la communauté afro-américaine grâce à Kamala Harris, les retraités grâce au Covid et les anciens électeurs ouvriers démocrates. Un tel score représenterait un échec cuisant pour le président sortant.

Mon Pronostic : 51/49 pour Biden qui va tout donner pour récupérer le Michigan.