Chaque semaine, je publierai un article sur les états clés qui permettront à l’un des 2 candidats, Biden ou Trump, d’atteindre la barre fatidique des 270 grands électeurs, synonyme d’élection. Vingtième et dernier chapitre du dossier Route 270 aujourd’hui, avec un focus sur l’Etat de Pennsylvanie et ses 20 grands électeurs en jeu en 2020. Etat au coeur de l’histoire politique américaine, la Pennsylvanie est depuis 1960 un Etat clé de l’élection présidentielle, presque toujours emporté par le vainqueur de l’élection. En 2016, c’est en l’emportant ici que Trump a officiellement été déclaré vainqueur et nouveau président des Etats-Unis. Plus que jamais encore cette année, il apparaît comme l’Etat qui décidera de l’issue de cette élection car il regroupe tous les principaux enjeux de cette élection : économie, santé et identité. Biden a une légère avance dans les sondages mais à peu près autant que Clinton en 2016. Quelque soit le score au national, la Pennsylvanie se jouera à quelques milliers de voix et il est fort probable que ce soit la Cour Suprême qui décide du résultat final plusieurs jours, voire semaines, après l’élection…

QUELQUES CHIFFRES DE LA pennsylvanie

• Population : 12 801 989 habitants
• Capitale : Harrisburg
• Plus grande ville : Philadelphia
• Répartition démographique : 76% blancs, 12% noirs, 8% hispaniques, 4% asiatiques
• Nombre de grands électeurs : 20
• Représentation locale : 1 gouverneur, 1 sénateur et 9 représentants démocrates ; 1 sénateur et 9 représentants républicains
• De quel côté ça penche sur les 5 dernières élections ? : Démocrates 4 – Républicains 1
• Résultats 2016 : Trump 48,6% Clinton 47,9%
• Une personnalité : Jeff Goldblum. En tant que fan de Jurassic Park, je ne pouvais pas faire l’impasse sur un de mes acteurs préférés de Pennsylvanie. Jeff a grandi à Pittsburgh en Pennsylvanie dans une famille juive orthodoxe. Révélé grâce à son rôle principal dans le film « La Mouche » (à regarder en mangeant), il devient un acteur phare dans les années 90 en enchaînant les succès dans la saga Jurrasic Park ou dans Independence Day. Goldblum est également un pinaiste de jazz amateur. Dans cette campagne présidentielle, il s’est prononcé en faveur de Joe Biden.

HISTOIRE DE LA pennsylvanie

A la veille de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, la Pennsylvanie est occupée par deux tribus amérindiennes. Les Lenapes, qui parlent la langue algonquine, vivent à l’Est de l’Etat mais aussi dans le New Jersey voisin. Ils sont également présents à l’emplacement des futures villes de New York et Philadelphie. A l’Ouest, les Andastes ou Susquehannock, qui parlent la langue iroquoise, s’installent le long du fleuve qui porte aujourd’hui leur nom, le Susquehanna. Ces deux peuples entretiennent une relation pacifique lorsque les explorateurs européens traversent la Pennsylvanie à partir de 1497. Si les contacts sont principalement commerciaux, les colons échangeant des objets (miroirs, couteaux, bouilloires, etc…) contre de la fourrure, les amérindiens voient, cependant, leur population réduite de moitié en moins d’un siècle en raison des maladies européennes qu’ils contractent. A partir du XVIIème siècle, la lutte d’influence s’intensifie entre européens : les néerlandais, les suédois et les anglais s’affrontent pour dominer le sud-est de la Pennsylvanie tandis que les français s’étendent à l’ouest de l’Etat. La première colonie est établie en 1638 par la Suède à l’embouchure du fleuve Delaware avec pour capitale Fort Christina (aujourd’hui situé dans l’Etat du Delaware). Les néerlandais sont quant à eux installés dans l’Etat de New York depuis 1609. En 1655, un premier conflit éclate au cours duquel les colons néerlandais prennent le contrôle de la Nouvelle Suède et chassent définitivement les suédois de la région. Plus au Sud, le Royaume anglais a établi sa colonie depuis 1607 en Virginie et au Maryland. De 1665 à 1674, deux guerres ont lieu entre les anglais et les néerlandais qui tournent à l’avantage de la perfide Albion. Le traité de Westminster en 1674 entérine la domination permanente des anglais sur la partie est de la Pennsylvanie. Quant aux français, ils s’installent donc à l’Ouest de la Pennsylvanie et se posent en ultimes rivaux des anglais. En 1681, le roi Charles II d’Angleterre a contracté un emprunt important auprès de l’amiral de sa flotte, l’amiral Penn. Son fils, William Penn, est alors en procès avec l’Eglise d’Angleterre. Le roi et l’amiral trouvent un arrangement : pour s’acquitter de sa dette, le souverain offre la colonie située au Sud-Ouest du New Jersey à William Penn qui pourra fonder une colonie tout en étant libre d’y exercer la religion de son choix. Penn fonde alors la ville de Philadelphie et y applique tous les préceptes de la société libérale idéale. Penn surnomme la région Sylvania (forêt en latin) que le roi change ensuite en Pennsylvania. Huguenots, puritains, calvinistes et catholiques s’installent à Philadelphie et le climat de tolérance religieuse encourage l’économie et le développement de la colonie. Philadelphie devient une plaque tournante du commerce nord-américain et est la ville la plus peuplée d’Amérique du Nord à la veille de la Révolution Américaine. La colonie de Pennsylvanie poursuit son expansion à l’Ouest mais se heurte aux français et aux iroquois. La guerre éclate lorsqu’une garnison de Virginie, sous le commandement de George Washington, piège l’armée française et prend la ville de Uniontown en 1754. Le conflit s’achève en 1763 avec la prise du Fort Duquesne, principale place forte des français en Pennsylvanie.

Dans les années 1770, la Pennsylvanie est la plus riche des 13 colonies anglaises. Peuplée de près de 300 000 âmes, elle croule pourtant sous les taxes et les habitants s’opposent frontalement à l’une d’entre elles, le Stamp Act adopté en 1765, qui institue que tous documents, permis, contrats commerciaux, testaments, livres et cartes à jouer doivent être munis d’un timbre fiscal. Cette loi censée couvrir les coûts de la présence militaire nécessaire à la protection des colonies est abrogée par les délégués de l’Assemblée de Philadelphie qui font sécession avec le gouvernement central. L’Assemblée finit par déclarer son indépendance le 4 juillet 1776 pour protester contre cette imposition jugée injuste par la population. Plusieurs batailles se déroulent en Pennsylvanie au cours des 7 années de conflit et l’armée rebelle finit par l’emporter en 1783. La Pennsylvanie est le deuxième Etat à ratifier la constitution des Etats-Unis d’Amérique et Philadelphie en devient la capitale jusqu’à la création de Washington D.C. en 1800. La Pennsylvanie est également le premier Etat à abolir l’esclavage, dès 1790. Au cours du XIXème siècle, la Pennsylvanie est le véritable centre névralgique de la politique américaine et le premier Swing State de l’histoire : de 1789 à 1880, elle vote seulement 2 fois contre l’avis de la majorité du pays lors des élections présidentielles. Philadelphie continue à être l’une des villes les plus peuplées du pays et sert de siège à la banque centrale des Etats-Unis à cette époque. L’économie de l’Etat repose tout de même sur son agriculture qui fournit 90% des emplois jusqu’en 1840 avant le développement de l’industrie ferroviaire. Lorsque la guerre de sécession éclate, la Pennsylvanie se range naturellement du côté unioniste mais les Confédérés menacent un temps l’Etat. Après plusieurs escarmouches confédérées, c’est lors de la bataille de Gettysburg, en 1763, que les Unionistes écartent définitivement la menace d’un envahissement de l’Etat et que la guerre tourne en leur faveur.

A la suite de cette guerre civile, la Pennsylvanie devient un bastion républicain et cette période marque une croissance exponentielle de l’activité industrielle dans la région. En effet, le sol y est riche en fer et de grandes industries métallurgiques s’installent dans la seconde moitié du XIXème siècle (Carnegie, Rockefeller…). En outre, la Pennsylvanie dispose aussi de mines de charbon et extrait du pétrole à partir de la dernière décennie du siècle. Hershey fonde la principale usine de chocolat en 1903 et c’est au cours de cette période que la compagnie Heinz est créée. L’Etat poursuit donc sa croissance démographique en accueillant de nombreux immigrés catholiques en provenance d’Irlande ou des juifs d’Europe de l’Est. De nombreux afro-américains en provenance d’Etats du Sud s’installent également entre 1900 et 1940 à la fois pour fuir le retour de la ségrégation mais aussi pour accéder aux emplois ouvriers. La Grande Dépression de 1929 frappe durement cet Etat industriel : chômage de masse, suicides et même émigrations de populations entières entraînent la fin de la domination politique des républicains. La Pennsylvanie choisit alors la politique démocrate du New Deal pour se relever économiquement. Toutefois, ce n’est que grâce à la Seconde Guerre mondiale que l’Etat parvient à sortir la tête de l’eau. En effet, les industries de la région produisent près de 10% des armements militaires et Philadelphie sert de base navale militaire principale. Près de 1 million d’habitants sont enrôlés dans le conflit. Après un âge d’or économique en sortie de guerre, l’économie de Pennsylvanie subit une grave crise avec la mondialisation. Les industries sont délocalisées et le chômage explose. La population stagne et l’Etat perd en influence par rapport aux Etats de la Sun Belt comme le Texas, la Floride ou la Californie. Philadelphie reste aujourd’hui la 5ème ville la plus peuplée du pays et l’Etat le plus peuplé du Midwest désormais appelé Rust Belt.

Sur le plan démographique, la population est aujourd’hui composée à 76% de blancs contre 12% de noirs et 8% d’hispaniques qui se répartit autour de 4 métropoles : Philadelphie au Sud-Est, Pittsburgh au Sud-Ouest, Erie au Nord-Ouest et le trio Scranton-Wilkes-Barre au Nord-Est. La Pennsylvanie se classe 6ème sur 50 états en termes de PIB ce qui la classe au 19ème rang mondial. L’économie a dû se diversifier même si l’agriculture et l’industrie restent prédominantes. Les principaux secteurs d’activité sont :

• Les services financiers : Plusieurs banques comme Bank of North America ou PNC ont leur siège social à Philadelphie ou Pittsburgh et emploient beaucoup de personnes dans le secteur tertiaire.
• L’agriculture : La Pennsylvanie est le premier Etat producteur de champignons, le second de pommes, le troisième de sapins de Noël (le maire de Bordeaux appréciera) et le quatrième de lait et maïs du pays et emploie encore plus de 60 000 personnes.
• Le tourisme : Philadelphie est l’une des capitales historiques du pays au même titre que Washington ou Boston et accueille plus de 700 000 touristes chaque année.
• L’industrie : Plus de 500 000 personnes sont encore employées dans ce secteur et représente plus de 10% du PIB de l’Etat. Les principaux secteurs sont le médical, l’alimentaire, l’informatique et bien sûr les industries pétrochimiques. La Pennsylvanie est le seul Etat du pays à extraire du charbon anthracite. L’industrie pétrolière est également importante et fait l’actualité avec le débat sur la fracturation hydraulique, une méthode d’extraction remise en cause par les écologistes et que les démocrates souhaiteraient abandonner d’ici 2035.

LA pennsylvanie ÇA SWING !

En 2016, la Pennsylvanie a été, avec le Wisconsin, l’Etat clé qui a permis à Trump de franchir la barre symbolique des 270 Grands électeurs. Cette année, si mon pressentiment d’une élection très serrée se révèle vrai, je pense encore que la Pennsylvanie sera l’Etat qui permettra à Donald Trump ou Joe Biden de franchir cette barre fatidique. Depuis 1960, la Pennsylvanie est redevenu un Swing State dans les élections présidentielles américaines. J.F. Kennedy avait alors remporté cet Etat et l’élection à la surprise générale en dépit de sa religion, le catholicisme, peu appréciée dans l’Etat. En dépit des nombreuses évolutions démographiques, la Pennsylvanie reste l’un des Etats les plus compétitifs du pays et un assez bon indicateur sur l’identité du futur président. En effet, excepté les élections de 2000 et 2004, la Pennsylvanie choisit toujours le bon cheval. En 2016, il s’agissait de l’un des états les plus disputés, Trump l’emportant avec seulement 0,7% d’avance.

La Pennsylvanie est un bon condensé des courants qui traversent l’Amérique actuellement sur le plan de la démographie politique. Les démocrates font des résultats de plus en plus médiocres au sein de l’électorat blanc peu diplômé et font de mieux en mieux chez les diplômés. Les zones rurales penchent singulièrement pour les républicains quand les zones urbaines adhèrent aux thèses démocrates. On observe particulièrement ces tendances dans 2 comtés de Pennsylvanie. Dans le Chester County, qui est l’un des comtés de la banlieue de Philadelphie, les électeurs, majoritairement diplômés et assez aisés, se rangeaient systématiquement du côté républicain jusqu’en 2004. En 2016, Clinton l’a emporté avec 10% d’avance. Dans le Comté de Luzerne en revanche, localisé dans le Nord-Est de la Pennsylvanie, on observe une autre tendance. Proche d’une ancienne mine de charbon, le comté a subi de plein fouet les conséquences de la mondialisation avec son lot de délocalisations et de crises économiques. Séduits par le message protectionniste de Trump, ce comté historiquement disputé, il choisit le candidat vainqueur de l’élection depuis 1936, a voté à 77% pour le président américain en 2016.

Où se jouera l’élection en 2020 ? En 2016, Trump était parvenu à attirer plus d’électeurs dans les fameuses zones périurbaines et c’est encore dans cette partie de l’Etat que Biden et Trump se disputeront les électeurs indécis. Avant l’épidémie de COVID, Trump était en avance dans cet état et semblait avoir partie gagnée. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et les sondages laissent penser qu’il est légèrement en retard auprès de cette frange de l’électorat, en particulier chez les femmes blanches diplômées.

Le thème de campagne qui peut faire basculer l’Etat

Je ne vois pas un thème mais bien trois thèmes pouvant faire pencher la balance dans cet état. Le premier est l’économie et semble favorable à Trump. En effet, les électeurs l’avaient choisi pour son discours anti-mondialisation et ses résultats ont plutôt été bons sur le terrain de l’emploi jusqu’en mars 2020. Les électeurs continuent à lui faire confiance en majorité sur cette thématique et il devrait donc conserver l’avance qu’il s’était constitué en 2016 au sein de l’électorat peu diplômé. Par ailleurs, la sortie de Biden sur la fin de la fracture hydraulique pourrait lui coûter des voix supplémentaires dans cette catégorie. Le second thème est bien sûr l’épidémie de coronavirus qui a assez durement touché l’Etat. Avec près de 9 000 morts pour 200 000 cas comptabilisés, le ratio mort/malade est proche des 5% contre 2,5% dans le reste du pays. Certains électeurs de Trump se souviendront peut-être qu’e ce dernier leur avait promis une assurance santé moins chère et plus efficace qu’Obamacare il y a 4 ans et qu’ils n’ont rien eu depuis. Le discours des démocrates, au regard de cette gestion pandémique, fera sûrement mouche auprès de certains électeurs de la classe moyenne. Enfin, les violentes manifestations liées à Black Lives Matter ont repris de la vigueur à Philadelphie cette semaine suite à l’interpellation d’un afro-américain par la police. Beaucoup de personnes en zones périurbaines s’inquiétant pour leur sécurité, il est possible que certains électeurs choisissent finalement Trump comme le candidat capable de rétablir la loi et l’ordre en Amérique.

3 SCÉNARIOS POUR UNE ÉLECTION

Chaque semaine, je me permettrai un petit pronostic dans l’état clé que je présente. A mi-juillet, j’imagine 3 scénarios d’élection pour Novembre : une élection serrée au national avec une victoire finale de Trump, une élection serrée au national avec une victoire finale de Biden et une élection sanction avec victoire large de Biden. J’écarte le scénario d’une victoire large de Trump qui me parait, du fait de la personnalité clivante de Trump, peu probable. Comme en 2016, j’ai du mal à croire à une victoire tout aussi large de Biden du fait de l’extrême polarité des 2 camps mais comme les sondages nous prédisent pour l’instant ce scénario, je dois sérieusement l’envisager. Voilà ce que ces 3 scénarios impliqueraient pour l’état de Pennsylvanie :

Scénario 1 : Trump gagne une élection serrée

Dans ce cas de figure, je pense que Trump devrait l’emporter dans les mêmes proportions qu’en 2016 (0 à 2 points d’avance). Les électeurs ne lui tiendraient pas rigueur de sa gestion calamiteuse de l’épidémie et retiendraient surtout ses résultats économiques. Il est possible aussi que Trump parvienne à gagner quelques voix au sein des métropoles en raison des violences récentes à Philadelphie.

Scénario 2 : Biden gagne une élection serrée

Pour ce scénario-ci, Biden devrait l’emporter certainement avec 0 à 2 points d’avance sur Trump. Biden pourrait récupérer quelques voix auprès des classes populaires soucieuses de posséder un meilleur système de santé dans le contexte de pandémie mondiale.

Scénario 3 : Biden l’emporte largement

Si Biden l’emporte largement, la Pennsylvanie pourrait pencher plus nettement pour Biden, de 3 à 5 points comme le prédisent les sondages. Biden récupèrerait des voix au sein des classes populaires et d’une mobilisation plus forte des afro-américains, du niveau d’Obama en 2008 et 2012.

Mon Pronostic : 50/50. Le vainqueur en Pennsylvanie remportera l’élection présidentielle 2020 à coup sûr.